Contes merveilleux, Tome I - Andersen Hans Christian (электронные книги бесплатно txt) 📗
Johannes, tout en marchant, songeait a ce qu'il allait voir dans le monde vaste et magnifique. Il ne connaissait pas les villes qu'il traversait, ni les gens qu'il rencontrait, il etait vraiment parmi des etrangers.
La premiere nuit, il dut se coucher pour dormir dans une meule de foin mais il trouva cela charmant, le roi lui-meme n'aurait pu etre mieux loge. Le champ avec le ruisseau et la meule de foin sous le bleu du ciel, n'etait-ce pas la une tres jolie chambre a coucher? Le gazon vert constelle de petites fleurs rouges et blanches en etait le tapis, et comme cuvette il avait toute l'eau fraiche et cristalline du ruisseau ou les roseaux ondulants lui disaient bonjour et bonsoir. La lune etait une grande veilleuse suspendue dans l'air bleu et qui ne mettait pas le feu aux rideaux. Johannes pouvait dormir bien tranquille et c'est ce qu'il fit: il ne s'eveilla qu'au lever du soleil, lorsque les petits oiseaux tout autour se mirent a chanter: «Bonjour, bonjour, comment, tu n'es pas encore leve!»
Les cloches appelaient a l'eglise, c'etait dimanche, les gens allaient entendre le pretre et Johannes y alla avec eux chanter un cantique et entendre la parole de Dieu. Il se crut dans sa propre eglise ou il avait ete baptise et avait chante avec son pere. Au cimetiere il y avait tant de tombes, sur certaines poussaient de mauvaises herbes deja hautes, il pensa a celle de son pere qui viendrait a leur ressembler maintenant qu'il n'etait plus la pour la sarcler et la garnir de fleurs. Alors il se baissa, arracha les mauvaises herbes, releva les croix de bois renversees, remit en place les couronnes que le vent avait fait tomber, il pensait que quelqu'un ferait cela pour la tombe de son pere.
Devant le cimetiere se tenait un vieux mendiant appuye sur sa bequille, il lui donna ses petites pieces d'argent, puis repartit heureux et content.
Vers le soir, le temps devint mauvais, Johannes se hatait pour se mettre a l'abri mais bientot il fit nuit noire. Enfin il parvint a une petite eglise tout a fait isolee sur une hauteur. Heureusement la porte etait entrebaillee.
«Je vais m'asseoir dans un coin, pensa-t-il, je suis fatigue et j'ai bien besoin de me reposer un peu.» Il s'assit, joignit les mains pour faire sa priere et bientot s'endormit et fit un reve tandis que l'orage grondait au-dehors, que les eclairs luisaient.
A son reveil, au milieu de la nuit, l'orage etait passe et la lune brillait a travers les fenetres. Au milieu de l'eglise il y avait a terre une biere ouverte ou etait couche un mort qui n'etait pas encore enterre. Johannes n'avait pas peur ayant bonne conscience, il savait bien que les morts ne font aucun mal, ce sont les vivants, s'ils sont mechants, qui font le mal. Et justement deux mauvais garcons bien vivants se tenaient pres du mort qui attendait la dans l'eglise d'etre enseveli, ces deux-la lui voulaient du mal, ils voulaient le jeter hors de l'eglise.
– Pourquoi faire cela? dit Johannes, c'est bas et mechant, laissez-le dormir en paix au nom du Christ.
– Tu parles! repondirent les deux autres. Il nous a roules, il nous devait de l'argent, il n'a pas pu payer et, par-dessus le marche, il est mort et nous n'aurons pas un sou. On va se venger, il attendra comme un chien a la porte de l'eglise.
– Je n'ai que cinquante riksdalers, dit Johannes, c'est tout mon heritage, mais je vous les donnerai volontiers si vous me promettez sur l'honneur de laisser ce pauvre mort en paix. Je me debrouillerai bien sans cet argent, je suis sain et vigoureux, le Bon Dieu me viendra en aide.
– Bien, dirent les deux voyous, si tu veux payer sa dette nous ne lui ferons rien, tu peux y compter.
Ils empocherent l'argent de Johannes, riant a grands eclats de sa bonte naive et s'en furent. Johannes replaca le corps dans la biere, lui joignit les mains, dit adieu et s'engagea satisfait dans la grande foret.
Tout autour de lui, la ou la lune brillait a travers les arbres, il voyait de ravissants petits elfes jouer gaiement. Certains d'entre eux n'etaient pas plus grands qu'un doigt, leurs longs cheveux blonds releves par des peignes d'or, ils se balancaient deux par deux sur les grosses gouttes d'eau que portaient les feuilles et l'herbe haute. Ce qu'ils s'amusaient! ils chantaient et Johannes reconnaissait tous les jolis airs qu'il avait chantes enfant. De grandes araignees bigarrees, une couronne d'argent sur la tete, tissaient d'un buisson a l'autre des ponts suspendus et des palais qui, sous la fine rosee, semblaient faits de cristal scintillant dans le clair de lune. Le jeu dura jusqu'au lever du jour. Alors, les petits elfes se glisserent dans les fleurs en boutons et le vent emporta les ponts et les bateaux qui volerent en l'air comme de grandes toiles d'araignees.
Johannes etait sorti du bois quand une forte voix d'homme cria derriere lui:
– Hola! camarade, ou ton voyage te mene-t-il?
– Dans le monde! repondit Johannes. Je n'ai ni pere ni mere. Je suis un pauvre gars, mais le Seigneur me viendra en aide.
– Moi aussi je veux voir le monde! dit l'etranger, faisons route ensemble.
– Ca va! dit Johannes. Et les voila partis.
Tres vite ils se prirent en amitie car ils etaient de braves garcons tous les deux. Mais Johannes s'apercut que l'etranger etait bien plus malin que lui-meme, il avait presque fait le tour du monde et savait parler de tout.
Le soleil etait deja haut lorsqu'ils s'assirent sous un grand arbre pour dejeuner. A ce moment, vint a passer une vieille femme. Oh! qu'elle etait vieille! Elle marchait toute courbee, s'appuyait sur sa canne et portait sur le dos un fagot ramasse dans le bois. Dans son tablier releve Johannes apercut trois grandes verges faites de fougeres et de petites branches de saule qui en depassaient. Lorsqu'elle fut tout pres d'eux, le pied lui manqua, elle tomba et poussa un grand cri. Elle s'etait cassee la jambe, la pauvre vieille.
Johannes voulait tout de suite la porter chez elle, aide de son compagnon, mais celui-ci ouvrant son sac a dos, en sortit un pot et declara qu'il avait la un onguent qui guerirait sa jambe en moins de rien. Mais en echange il demandait qu'elle leur fasse cadeau des trois verges qu'elle avait dans son tablier.
– C'est cher paye! dit la vieille en hochant la tete d'un air bizarre.
Elle ne tenait pas du tout a se separer des trois verges mais il n'etait pas non plus agreable d'etre la par terre, la jambe brisee. Elle lui donna donc les trois verges et des qu'il lui eut frotte la jambe avec l'onguent, la vieille se mit debout et marcha, elle etait meme bien plus leste qu'avant.
– Que veux-tu faire de ces verges? demanda Johannes a son compagnon.
– Ca fera trois jolies plantes en pots, repondit-il; elles me plaisent.
Ils marcherent encore un bon bout de chemin.
– Comme le temps se couvre, dit Johannes en montrant du doigt les epais nuages. C'est inquietant.
– Mais non, dit le compagnon de voyage, ce ne sont pas des nuages mais d'admirables montagnes tres hautes, ou l'on arrive tres au-dessus des nuages, dans l'air le plus pur et le plus frais. Un paysage de toute beaute, tu peux m'en croire! Demain nous y atteindrons sans doute.
Ce n'etait pas aussi pres qu'il y paraissait, ils marcherent une journee entiere avant d'arriver aux montagnes ou les sombres forets poussaient droit dans l'azur et ou il y avait des rocs grands comme un village entier. Ce serait une rude excursion que d'arriver la-haut; aussi Johannes et son compagnon entrerent-ils dans une auberge pour s'y bien reposer et rassembler des forces.
En bas, dans la grande salle ou l'on buvait, il y avait beaucoup de monde, un homme y donnait un spectacle de marionnettes. Il venait d'installer son petit theatre et le public s'etait assis tout autour pour voir la comedie; au premier rang un gros vieux boucher avait pris place-la meilleure du reste-, son enorme bouledogue-oh! qu'il avait l'air feroce-assis a cote de lui ouvrait de grands yeux comme tous les autres spectateurs. La comedie commenca. C'etait une histoire tout a fait bien avec un roi et une reine assis sur un trone de velours. De jolies poupees de bois aux yeux de verre et portant la barbe se tenaient pres des portes qu'elles ouvraient de temps en temps afin d'aerer la salle.