Aventures Et Mesaventures Du Baron De Munchhausen (illustre) - Burger Gottfried August (читать книги полные .TXT) 📗
Environ trois mois apres, le foin haussa si considerablement de prix, que le fermier jugea avantageux de vendre sa provision de fourrage. La meule ou je me trouvais etait la plus grande de toutes, et representait au moins cinq cents quintaux. Ce fut donc par elle qu’on commenca. Le bruit des gens qui y avaient applique leurs echelles pour l’escalader me reveilla enfin. Encore plonge dans un demi-sommeil, ne sachant pas ou j’etais, je voulus m’enfuir et tombai juste sur le proprietaire du foin. Je ne me fis pas la plus legere egratignure dans cette chute, mais le fermier n’en fut que plus maltraite: il fut tue roide, car je lui avais, bien innocemment, casse le col. Pour le repos de conscience, j’appris plus tard que le drole etait un infame juif, qui entassait ses fruits et ses cereales dans son grenier, jusqu’au moment ou leur rarete excessive lui permettrait de les vendre a des prix exorbitants: de sorte que cette mort violente fut une juste punition de ses crimes et un service rendu au bien public.
Mais quel fut mon etonnement, lorsque, entierement revenu a moi-meme, j’essayai de rattacher mes pensees presentes a celles avec lesquelles je m’etais endormi trois mois auparavant! Quelle fut la surprise de mes amis de Londres en me voyant reparaitre apres les recherches infructueuses qu’ils avaient faites pour me retrouver! Vous pouvez, messieurs, vous l’imaginer facilement.
Maintenant, messieurs, buvons un coup, que je vous raconte encore un couple de mes aventures de mer.
CHAPITRE XIV Huitieme aventure de mer.
Vous avez sans doute entendu parler du dernier voyage de decouverte accompli au pole Nord par le capitaine Phipps, aujourd’hui Lord Mulgrave. J’accompagnais le capitaine, non pas en qualite d’officier, mais a titre d’ami et d’amateur. Quand nous fumes arrives a un degre fort avance de latitude nord, je pris mon telescope avec lequel vous avez fait connaissance a l’occasion du recit de mes aventures a Gibraltar, et j’examinai les objets qui nous environnaient. Car, soit dit en passant, je trouve qu’il est bon, surtout en voyage, de regarder de temps en temps ce qui se passe autour de soi.
A environ un demi-mille en avant de nous flottait un immense glacon, aussi haut pour le moins que notre grand mat, et sur lequel je vis deux ours blancs qui, autant que j’en pus juger, etaient engages dans un duel acharne. Je saisis mon fusil et descendis sur la glace. Mais lorsque j’en eus atteint le sommet, je m’apercus que le chemin que je suivais etait extremement dangereux et difficile. Par moments j’etais oblige de sauter par-dessus d’effroyables precipices; dans d’autres endroits la glace etait polie et glissante comme un miroir, de sorte que je ne faisais que tomber et me relever. Je parvins cependant a atteindre les ours, mais en meme temps je reconnus qu’au lieu de se battre, ils etaient simplement en train de jouer ensemble.
Je calculais deja la valeur de leur peau, car chacun d’eux etait au moins aussi gros qu’un b?uf gras; par malheur, au moment ou j’ajustai mon arme, le pied droit me glissa, je tombai en arriere, et perdis, par la violence de la chute, connaissance pour plus d’un quart d’heure. Representez-vous l’epouvante dont je fus saisi, lorsque, revenant a moi, je sentis qu’un des deux monstres m’avait retourne sur le ventre, et tenait deja entre ses dents la ceinture de ma culotte de peau. La partie superieure de mon corps etait appuyee sur la poitrine de l ‘animal, et mes jambes s’etalaient en avant. Dieu sait ou l’horrible bete m’eut entraine; mais je ne perdis pas la tete: je tirai mon couteau – le couteau que voici, messieurs -, je saisis la patte gauche de l’ours et lui coupai trois doigts: il me lacha alors et se mit a hurler terriblement. Je pris mon fusil, je fis feu au moment ou la bete se mettait en devoir de s’en retourner et je l’etendis morte. Le monstre sanguinaire etait endormi du sommeil eternel; mais le bruit de mon arme avait reveille plusieurs milliers de ses compagnons qui reposaient sur la glace dans un rayon d’un quart de lieue. Ils coururent tous sur moi a franc etrier.
Il n’y avait pas de temps a perdre; c’en etait fait de moi s’il ne m’arrivait pas une idee lumineuse et immediate: elle arriva! En moins de temps qu’il ne faut a un chasseur habile pour depiauter un lievre, je deshabillai l’ours mort, m’enveloppai de sa robe et cachai ma tete sous la sienne. J’avais a peine termine cette operation, que toute la troupe s’assembla autour de moi. J’avoue que je sentais, sous ma fourrure, des alternatives terribles de chaud et de froid. Cependant ma ruse reussit a merveille. Ils vinrent l’un apres l’autre me flairer, et parurent me prendre pour un de leurs confreres. J’en avais du reste a peu pres la mine; avec un peu plus de corpulence la ressemblance eut ete parfaite, et meme il y avait dans l’assemblee plusieurs petits jeunes ours qui n’etaient guere plus gras que moi; apres qu’ils m’eurent bien flaire, moi et le cadavre de ma victime; nous nous familiarisames rapidement: j’imitais parfaitement tous leurs gestes et tous leurs mouvements; mais pour ce qui etait du grondement, du mugissement et du hurlement, je dois reconnaitre qu’ils etaient plus forts que moi. Cependant, pour ours que je parusse, je n’en etais pas moins homme! Je commencai a chercher le meilleur moyen de mettre a profit la familiarite qui s’etait etablie entre ces betes et moi.
J’avais entendu dire autrefois par un vieux chirurgien militaire qu’une incision faite a l’epine dorsale cause instantanement la mort. Je resolus d’en faire l’experience. Je repris mon couteau, et en frappai le plus grand des ours pres de l’epaule, a la nuque: convenez que le coup etait hardi; et j’avais des raisons d’etre inquiet. Si la bete survivait a la blessure, c’en etait fait de moi, j’etais reduit en pieces. Heureusement ma tentative reussit, l’ours tomba mort a mes pieds, sans plus faire un mouvement. Je pris donc le parti d’expedier de cette facon tous les autres, et cela ne fut pas difficile: car, bien qu’ils vissent de droite et de gauche tomber leurs freres, ils ne se mefiaient de rien, ne songeant ni a la cause ni au resultat de la chute successive de ces infortunes: ce fut la ce qui me sauva. Quand je les vis tous etendus morts autour de moi, je me sentis aussi fier que Samson apres la defaite des Philistins.
Bref, je retournai au navire, je demandai les trois quarts de l’equipage pour m’aider a retirer les peaux et a apporter les jambons a bord. Nous jetames le surplus a l’eau, bien que, convenablement sale, cela eut fait un aliment fort supportable.
Des que nous fumes de retour, j’envoyai, au nom du capitaine, quelques jambons aux lords de l’Amiraute, aux lords de l’Echiquier, au lord-maire et aux aldermen de Londres, aux clubs de commerce, et distribuai le surplus entre mes amis. Je recus de tous cotes les remerciements les plus chaleureux; la Cite me rendit mon amabilite en m’invitant au diner annuel qui se celebre lors de la nomination du lord-maire.
J’envoyai les peaux d’ours a l’imperatrice de Russie pour servir de pelisse d’hiver a Sa Majeste et a sa cour. Elle m’en remercia par une lettre autographe que m’apporta un ambassadeur extraordinaire, et ou elle me priait de venir partager sa couronne avec elle. Mais comme je n’ai jamais eu beaucoup de gout pour la souverainete, je repoussai, dans les termes les plus choisis, l’offre de Sa Majeste. L’ambassadeur qui m’avait apporte la lettre avait l’ordre d’attendre ma reponse pour la rapporter a sa souveraine. Une seconde lettre, que quelque temps apres je recus de l’imperatrice, me convainquit de l’elevation de son esprit et de la violence de sa passion. Sa derniere maladie, qui la surprit au moment ou – pauvre et tendre femme – elle s’entretenait avec le comte Dolgorouki, ne doit etre attribuee qu’a ma cruaute envers elle. Je ne sais pas quel effet je produisis aux dames, mais je dois dire que l’imperatrice de Russie n’est pas la seule de son sexe qui du haut de son trone m’ait offert sa main.