Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian (книги .TXT) 📗
– Quel effet pittoresque font ces fleurs epanouies devant ces ruines! s'ecria un passant. Il me faut dessiner cela. Et il tira d'un cahier une feuille de papier et se mit a tracer un croquis: c'etait un peintre. Il dessina les restes de la maison, la cheminee qui menacait de s'ecrouler, les debris de toute sorte, et en avant le magnifique rosier couvert de fleurs. Ce contraste entre la nature, toujours belle et vivante, et l'oeuvre de l'homme, si perissable, etait saisissant. Dans la journee, les deux jeunes moineaux envoles de la veille vinrent faire un tour aux lieux de leur naissance.
– Qu'est devenue la maison? s'ecrierent-ils. Et le nid? Tout a peri, et notre frere le querelleur aussi. C'est bien fait pour lui. Mais faut-il que ces maudites roses aient seules echappe au feu! Et le malheur des autres ne les chagrine pas, ni ne les fait maigrir, elles ont toujours leurs grosses joues bouffies!
– Je ne puis les voir, dit l'aine. Allons-nous-en, c'est maintenant un sejour affreux. Et ils s'envolerent. Par une belle journee d'automne, une bande de pigeons, noirs, blancs, tachetes, sautillaient dans la basse-cour du chateau. Leur plumage bien lisse brillait au soleil. On venait de leur jeter des pois et des graines. Ils couraient ca et la en desordre.
– En groupes! en groupes! dit une vieille mere pigeonne.
– Quelles sont ces petites betes grises qui gambadent toujours derriere nous? demanda un jeune pigeon au plumage rouge et vert.
– Venez, gris-gris. Ce sont des moineaux. Comme notre race a la reputation d'etre douce et affable, nous les laissons picorer quelques graines. En effet, voila que deux des moineaux qui venaient d'arriver de cotes differents se mirent pour se saluer, a gratter trois fois de la patte gauche et a pousser un pip en point d'orgue.
– On fait bombance ici, se dirent-ils. Les pigeons d'un air protecteur se rengorgeaient et se promenaient fiers et hautains. Quand on les observe de pres, on les trouve remplis de defauts; entre eux, quand ils se croient seuls, ils sont toujours a se quereller, a se donner de furieux coups de bec.
– Regarde un peu celui qui a une si grosse gorge! dit un des jeunes pigeons a la vieille grand-mere. Comme il avale des pois! son jabot en creve presque! Allons, donnez-lui une raclee. Courez, courez, courez! Et les yeux scintillants de mechancete, deux jeunes se jeterent sur le pigeon a grosse gorge qui, la crete soulevee de colere, les bouscula l'un apres l'autre.
– En groupes! s'ecria la vieille. Venez, gris-gris! Courez, courez, courez! Les moineaux faisaient ripaille; ils avaient mis de cote leur effronterie native, et se tenaient convenablement pour qu'on les tolerat; ils se placaient meme dans les groupes au commandement de la vieille. Une fois bien repus, ils deguerpirent; quand ils furent un peu loin, ils echangerent leurs idees sur les pigeons, dont ils se moquerent a plaisir. Ils allerent, pour faire la sieste, se reposer sur le rebord d'une fenetre: elle etait ouverte. Quand on a le ventre plein, on se sent hardi; aussi l'un d'eux se risqua bravement dans la chambre.
– Pip, pip, dit le second, j'en ferais bien autant et meme plus. Et il s'avanca jusqu'au milieu de l'appartement. Il ne s'y trouvait personne en ce moment. En furetant a droite et a gauche, les voila tout au fond de la chambre.
– Tiens! qu'est cela? s'ecrierent-ils. Devant eux se trouvait un rosier dont les centaines de fleurs se refletaient dans l'eau; a cote, quelques poutres calcinees etaient adossees contre un reste de cheminee; derriere, un bouquet de bois et un ciel splendide. Les moineaux prirent leur elan pour voler vers les arbres; mais ils vinrent se cogner contre une toile. Tout ce paysage n'etait qu'un beau et grand tableau; l'artiste l'avait peint d'apres le croquis qu'il avait dessine.
– Pip! dit un des moineaux. Ce n'est rien qu'une pure apparence. Pip, pip! C'est peut-etre le beau? C'est ainsi que le definissait notre aieule, une personne des plus remarquables de son temps. Quelqu'un entra, les oiseaux s'envolerent. Des jours, des annees se passerent. Les familles de nos deux moineaux avaient prospere malgre les durs hivers; en ete, on se rattrapait et l'on engraissait. Quand on se rencontrait, on se reconnaissait au signal convenu: trois grattements de la patte gauche. Presque tous s'etablissaient jeunes, se mariaient et faisaient leur nid non loin les uns des autres. Mais une petite pierrette alerte et aventureuse, trop volontaire pour se mettre en menage, partit un jour pour les contrees lointaines et elle vint s'installer a Copenhague.
– Comme tout cela brille! dit la pierrette en voyant le soleil se refleter dans les vastes fenetres du chateau. Ne serait-ce pas le beau? Dans notre famille on sait le reconnaitre. Seulement, ce que je vois la, c'est autrement grand qu'un paon. Et ma mere m'a dit que cet animal etait le type du beau. Et la pierrette descendit dans la cour de l'edifice; sur les murs etaient peintes des fresques; au milieu etait un grand rosier qui etendait ses branches fraiches et fleuries sur un tombeau. La pierrette voleta de ce cote; trois moineaux sautillaient de compagnie. Elle fit les trois grattements et lanca un pip de poitrine; les moineaux firent de meme. On se complimenta, on se salua de nouveau, et l'on causa. Deux des moineaux se trouvaient etre les freres nes dans le nid d'hirondelles; sur leurs vieux jours ils avaient eu la curiosite de voir la capitale. La nouvelle venue leur communiqua ses doutes sur la nature du beau.
– Oh! c'est bien ici qu'il se trouve, dit l'aine des freres. Tout est solennel; les visiteurs sont graves, et il n'y a rien a manger. Ce n'est que pure apparence. Des personnes qui venaient d'admirer les oeuvres sublimes du maitre approcherent du tombeau ou il repose. Leurs figures etaient encore illuminees par les impressions qu'ils venaient de recevoir dans ce sanctuaire de l'art. C'etaient de grands personnages venus de loin, d'Angleterre, de France, d'Italie; la fille de l'un d'eux, une charmante enfant, cueillit une des roses en souvenir du celebre sculpteur, et la mit dans son sein. Les moineaux, en voyant le muet hommage qu'on venait rendre au rosier, penserent que l'edifice etait construit en son honneur; cela leur parut exorbitant; mais, pour ne point paraitre trop campagnards, ils firent comme tout le monde et saluerent a leur facon. En regardant de pres, ils remarquerent que c'etait leur ancien voisin. Le peintre qui avait dessine le rosier au pied de la maison brulee avait demande la permission de l'enlever, et l'avait donne a l'architecte qui avait construit l'edifice. Celui-ci en avait trouve les fleurs si admirables, qu'il l'avait place sur le tombeau de Thorwaldsen, ou ces roses etaient comme l'embleme du beau; on les emportait bien loin en souvenir des emotions que produit la sublimite de l'art.
– Tiens, dirent les moineaux, vous avez trouve un bon emploi en ville. Les roses reconnurent leurs voisins et repondirent:
– Quelle joie de revoir d'anciens amis! Il ne manquait plus que cela a notre bonheur. Que l'existence est belle! Tous les jours ici sont des jours de fete.