Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (электронная книга .txt) 📗
— Maitre Jacques, pouvez-vous me donner le moyen de quitter cette ville des demain ? Je ne puis plus demeurer.
— Si tu le desires, je peux te donner dix hommes d'armes qui te rejoindront hors de la ville, la ou tu me l'indiqueras, coupa Xaintrailles.
Il bouclait de nouveau, sur le buffle de son pourpoint, la cuirasse qu'il avait otee un moment pour souper, enfoncait son chaperon sur sa tete, s'enroulait dans son manteau. L'heure de se separer etait venue. Catherine eprouvait de la peine a quitter ce bon compagnon, toujours si rudement fraternel. Elle le lui dit tout simplement, avec cette spontaneite qu'elle avait gardee de son enfance.
— Je vous aime bien, Jean. Revenez-nous vite !
Le rude visage tavele de taches de rousseur grimaca ' un sourire qui cachait peut-etre une larme et grommela :
— On se reverra a Montsalvy ! J'irai vous demander a souper, un soir, quand vous ne m'attendrez pas. Et je m'installerai chez vous assez de temps pour tuer quelques-uns de ces gros solitaires de la Chataigneraie. Adieu, mes amis.
Un baiser a Catherine, une accolade a Arnaud, une reverence a Macee qui lui offrait la coupe de vin epice de l'adieu et Xaintrailles se tournait vers Jacques C?ur qui avait saisi un flambeau pour eclairer son hote dans l'escalier.
— Je vous suis, maitre C?ur ! Encore merci de votre aide !
— Passez, Messire. Je vais vous dire ou vous pourrez envoyer, des demain, les dix hommes d'armes que vous avez promis. Car je savais, avant vous, les nouvelles de ce soir et j'ai tout prepare pour faire quitter la ville a nos amis. J'avais devine que messire de Montsalvy voudrait partir sur l'heure, et que dame Catherine refuserait de le quitter.
Aucun muscle n'avait bouge dans la figure calme du pelletier. Pourtant, Catherine eut la sensation d'un effort sur lui-meme. Il y avait, derriere l'impassibilite de Jacques C?ur, une sorte de desespoir dont peut-etre lui-meme n'avait pas la conscience tres nette, mais qu'il refoulait, d'instinct.
L'horloge du couvent des Jacobins sonna trois coups, puis il y eut le bruit sourd de la porte qui se refermait sur Xaintrailles. Enfin, le claquement d'un pas rapide qui s'eloignait sur les paves de la rue. Catherine et Arnaud, face a face, n'avaient pas bouge. Tous deux ecoutaient partir leur ami comme si le bruit de ses pas resonnait dans leur propre c?ur. Macee, alors, mit dans la main de Catherine un bougeoir dont elle venait d'allumer la chandelle.
— Venez, dit-elle, il est temps d'aller dormir. Demain, la journee sera rude !
Dormir ? Catherine, ni Arnaud n'y songeaient guere. Dans la grande chambre de Jacques et de Macee ; qui, pour cette nuit nuptiale, leur avait ete cedee, ils se retrouverent l'un pres de l'autre, la main dans la main, comme deux enfants au seuil d'une aventure. La piece, intime avec les toiles brodees de rouge et J de bleu qui couvraient les murs, avec aussi son beau feu ronflant dans la cheminee conique et le lit aux draps bien blancs sous ses courtines de drap rouge vif, s'offrait a eux comme un univers clos et douillet au seuil duquel expirait le monde. Tout autour, c'etait le silence attentif de la nuit referme sur la maison comme sur une coquille. Le danger, pour le moment, faisait treve et ces premieres heures de vie a deux n'appartenaient bien qu'a eux seuls. Demain, tout recommencerait, mais, pour l'instant, le mal ni la haine ne pouvaient les atteindre.
Sans quitter la main de Catherine, Arnaud referma soigneusement la porte puis entraina la jeune femme jusqu'au lit sur le bord duquel il la fit asseoir avant de la prendre dans ses bras. Sans qu'ils eussent seulement echange un mot, il se mit a l'embrasser avidement. Bien qu'ils habitassent la meme demeure depuis que Xaintrailles l'avait ramene mourant, c'etait la premiere fois qu'Arnaud echangeait des caresses avec Catherine. Tous deux avaient mis un point d'honneur a respecter la maison des C?ur et a attendre d'etre regulierement unis. Mais, maintenant, Arnaud semblait decide a rattraper le temps perdu.
Sa bouche courait des tempes de Catherine a ses yeux, a ses levres, a son cou. Il l'etreignait avec une passion qui la meurtrissait, mais qu'elle subissait avec une joie sauvage. De temps en temps contre son oreille, il murmurait son bonheur.
— Ma femme... Ma Catherine a moi... Ma femme pour toujours !
Elle s'abandonnait a ses mains fievreuses qui, deja, denouaient les minces liens de la gorgerette blanche, delacaient le corselet de la robe. D'un geste vif, il avait enleve la coiffe de mousseline empesee et l'avait envoyee promener a l'autre bout du lit.
Soudain, Catherine se raidit sous ses caresses. Au fond d'elle-meme, l'enfant s'agitait avec une violence nouvelle.
Arnaud percut son recul, la regarda.
— Qu'as-tu ?
L'enfant... Il bouge beaucoup ! Peut-etre ne devrions-nous pas... Il se mit a rire et Catherine songea qu'il riait comme personne avec une force et une gaiete venues de son indomptable vitalite. L'eclair de ses dents blanches etincela dans l'ombre rouge des rideaux.
— Si ce petit bougre se mele de m'empecher de t'aimer, il aura affaire a moi. Les enfants n'ont jamais fait la loi chez nous. Et je te veux ! J'ai trop faim de toi... Il y a trop longtemps ! Tant pis pour lui !
Exigeant et tendre, il la ramenait contre lui, la renversait sur la courtepointe de velours, reprenait sa bouche tout en continuant de denuder son buste et ses epaules. Sous les levres chaudes et dures qui la caressaient, Catherine sentit son sang prendre feu. La folie d'amour s'alluma en elle avec la violence de l'ouragan. Elle lui rendit baiser pour baiser, caresse pour caresse et, loin maintenant de le repousser, s'offrit au contraire avec une ardeur nouvelle. C'etait la premiere fois qu'il l'aimait ainsi, avec cette violence contenue, cette science qu'elle ne lui avait jamais connue. Un instant, la pensee la traversa qu'il y avait en lui quelque chose de change, car, jusque-la, leurs etreintes avaient ete brutales, d'une ardeur presque sauvage. C'etait un combat passionne, sans vainqueur ni vaincu, dont tous deux sortaient epuises. Il y avait alors, dans la passion d'Arnaud, quelque chose d'implacable et d'un peu hatif. Il la soumettait a sa loi. Tandis que, ce soir, elle le sentait attentif a eveiller en elle un plaisir aigu. Et, dans ces caresses lentes, subtiles, sous lesquelles elle gemissait, emportee par le desir, elle retrouvait avec etonnement ces sensations intenses que Philippe de Bourgogne, ce maitre d'amour, savait lui dispenser.
Impatiente, elle se plaignit quand il la quitta pour se devetir, mais ronronna bientot de plaisir contre une poitrine dure ou le c?ur cognait a grands coups. Les flammes de la cheminee, refletees par les rideaux rouges du lit, habillaient de reflets fauves les epaules brunes d'Arnaud, jouaient dans les boucles noires et drues de ses cheveux en desordre. Elle put encore songer qu'il en serait desormais ainsi chaque nuit que Dieu leur donnerait... et puis elle oublia tout pour se laisser rouler par la vague brulante qui deferlait sur elle.
Le feu etait presque eteint et la chambre chaude baignait dans une obscurite rougeatre ou se melaient les senteurs du pin brule et celles, plus apres, de l'amour et des corps en sueur. La tete au creux de l'epaule d'Arnaud endormi, Catherine sommeillait vaguement. Elle flottait delicieusement dans le vague, ayant laisse au lit bouleverse son corps aneanti. Elle avait chaud, elle etait bien et elle ne savait plus ou finissait la realite, ou commencait le reve.
Dans l'atre, les braises crepitaient encore de temps en temps, jetant une breve etincelle, mais tout autour un enorme silence enveloppait le lit comme un cocon protecteur. Il n'y avait plus, au monde, que la respiration calme de l'homme endormi et les paupieres battantes de la femme comblee. Avec un profond soupir, Catherine se lova plus etroitement contre Arnaud qui marmotta quelque chose dans son sommeil. Elle ferma les yeux... et les rouvrit presque aussitot. Au-dehors, un bruit bizarre avait fait eclater le silence, menacant et lugubre comme le frottement des ecailles d'un serpent : celui, caracteristique, du fer claquant contre la pierre.