Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта (книги бесплатно .txt) 📗
— Me permettez-vous, Monseigneur ?
Sa voix claire fut entendue de tous. Richemont inclina la tete avec un sourire un peu amuse qui plissa son visage couture. Les larmes aux yeux, car elle se souvenait des prieres douloureuses de la princesse a l'hotel Saint-Pol, Catherine vit Marguerite se pencher et, avec un sourire emu, attacher son voile, du meme bleu que les caparacons du chevalier a la lance du champion royal.
— Messire-Dieu vous donne bon courage, Arnaud de Montsalvy
! Votre frere etait mon ami et votre cause est noble ! Je prierai pour vous !
Sous l'armure, Arnaud s'inclina presque a toucher le cou de son cheval :
— Grand merci, gracieuse dame ! Je me battrai donc egalement pour l'amour de vous et du vaillant capitaine qui va etre votre heureux epoux. J'en suis fier et mourrai plutot que vous decevoir !
Dieu vous donne bonheur aussi grand que votre noble c?ur !
Le visage de Philippe de Bourgogne avait fremi. En un instant il eut dix ans de plus. Sans regarder son frere, Marguerite regagna sa place. Maintenant les deux adversaires se tournaient le dos et rejoignaient une extremite de la lice ou leurs ecuyers preparaient des lances. Lances de frene et de fer a la pointe aigue et non lances courtoises de bois leger. Pres de l'ecuyer d'Arnaud, Catherine reconnut la tignasse rousse de Xaintrailles qui devait rencontrer ensuite le sire de Rebecque, second de Vendome. A nouveau les trompettes sonnerent. Puis, d'une voix forte, le heraut Beaumont cria
: — Coupez cordes et heurtez bataille quand vous voudrez !
Sous le couteau des poursuivants, les cordes tomberent a terre. La lice etait libre, le combat commencait. Lance en arret, l'ecu au coude, les deux combattants s'elancerent l'un vers l'autre.
Un instant, Catherine ferma les yeux Elle avait l'impression que le lourd galop des chevaux charges de fer, sous lequel resonnait la terre durcie, passait sur son propre c?ur. Dans la tribune, chacun retenait son souffle. La main d'Ermengarde se posa, imperieuse, sur celles de la jeune femme.
— Regardez donc ! Le spectacle en vaut la peine et une noble dame doit savoir tout regarder en face. (Puis, plus bas :) Regardez morbleu !
Votre mari a les yeux fixes sur vous.
Catherine ouvrit les yeux aussitot.
Il y eut un choc violent, un cri enorme jaillit de toutes les poitrines.
Les lances avaient frappe juste le centre des boucliers. Le coup avait ete violent. Les deux adversaires avaient plie sur leur selle mais n'avaient vide les etriers ni l'un ni l'autre. Au petit trot, ils repartaient deja vers les bouts de la lice pour prendre des lances neuves aux mains des ecuyers.
— Je crois que nous allons voir un tres beau combat, fit tranquillement Saint-Remy de sa voix affectee. Ce coup etait remarquable !
Catherine le regarda de travers. Cet enthousiasme sportif la choquait car il lui paraissait peu de mise la ou il s'agissait de vies humaines. Elle chercha a le blesser :
— Comment se fait-il que, ne a Abbeville, vous ne soyez pas au roi de France ? lui lanca-t-elle dans une intention nettement provocatrice.
Mais il ne se formalisa pas.
J'y etais, fit-il tranquillement. Mais la cour d'Ysabeau est pourrie et l'on ne sait si celui qui se dit Charles VII est vrai fils de France. Je prefere le duc de Bourgogne.
— Cependant, vous semblez faire des v?ux pour Arnaud de Montsalvy ?
— Je l'aime beaucoup. S'il etait Charles VII, je n'aurais pas la joie d'etre aupres de vous car je serais aupres de lui.
— Le fait qu'il serve le Roi devrait vous suffire ! fit Catherine severement ; mais Ermengarde lui fit signe de se taire.
Les deux chevaliers foncaient a nouveau l'un vers l'autre avec une ardeur accrue. Trop d'ardeur, peut- etre, car, cette fois, il ne se passa rien. Le cheval du batard fit un ecart au moment de croiser le destrier d'Arnaud. Les lances devierent et les cavaliers, sur leur elan, coururent encore quelques toises avant de faire volte-face et de regagner leurs camps. En revenant vers son pavillon, Arnaud avait releve un instant la ventaille de son casque pour respirer mieux. Tandis qu'il defilait au petit trot devant les tribunes, Catherine accrocha son regard. Elle vit se crisper fugitivement le beau visage dur du jeune homme. Alors, de tout son c?ur, elle lui sourit. L'amour a cette minute illumina son visage avec tant de force qu'Arnaud tressaillit. Il baissa la tete, fit mine de resserrer a son bras l'echarpe bleue qu'il y avait nouee. Son arret devant la tribune avait ete minime, mais il avait inonde Catherine d'une joie nouvelle. Pour une fois, en croisant le sien, le regard d'Arnaud n'etait pas dedaigneux. Il y avait dedans une chaleur qu'elle avait desespere d'y revoir un jour. Mais la minute precieuse etait deja ecoulee. Le combat reprenait le chevalier dans son cercle infernal.
Les adversaires rompirent encore deux lances sans resultat appreciable. Sous les poussees de geant du batard, Arnaud pliait parfois mais demeurait en selle. A la cinquieme course, pourtant, la lance de Lionel vint frapper le casque du jeune homme juste au rivet d'attache gauche de la ventaille. Catherine crut qu'il avait la tete emportee. Mais tete et heaume tenaient bien. La ventaille seule tomba d'un cote, decouvrant le visage du jeune homme que rayaient deux filets de sang.
— Il est blesse ! s'ecria Catherine a demi soulevee. Dieu Tout-Puissant !
Les muscles de sa gorge l'etranglaient. Le cri franchit a peine ses levres devenues aussi blanches que sa robe. Ermengarde se pendit litteralement a son bras pour l'obliger a se rasseoir.
— Ne vous donnez pas ainsi en spectacle, morbleu ! Du calme, ma mie, du calme ! On vous regarde !
— Ce n'est pas grave, fit Saint-Remy les yeux sur le blesse. Une estafilade, sans doute causee par le rivet en s'enfoncant.
— Mais il a ete blesse a la tete, il y a si peu de temps ! gemit Catherine avec tant de douleur et d'angoisse que son voisin la regarda pensivement.
Il eut un bref sourire.
— Il semble que je ne sois pas le seul Bourguignon a former des v?ux pour le chevalier du roi Charles ? fit-il gentiment. Je vous dirai donc, comme la comtesse Ermengarde, de ne point vous tourmenter.
Le gaillard est solide. Il en a vu d'autres...
La-bas, Arnaud achevait d'arracher, d'une main impatiente, la ventaille pendante. De l'autre, il prenait le pot d'eau que lui tendait Xaintrailles et se desalterait hativement, a longues goulees. Catherine vit que le batard en faisait autant. Tous deux empoignerent, a la meme fraction de seconde, la sixieme et derniere lance.
Si les deux hommes demeuraient en selle, le combat se poursuivrait a cheval, mais a la hache. Arnaud, avec son visage decouvert, avait le desavantage.
Comme pour le souligner, Lionel de Vendome referma son casque d'un geste sec. Arrachant des mottes d'herbes de leurs quatre pattes, les coursiers s'elancerent. Catherine se signa precipitamment. Le choc des lances fut terrible. Le batard avait mis toute sa force "dans ce dernier coup. Atteint a l'epauliere, Arnaud fut litteralement arrache de sa selle. Projete en l'air, il alla retomber sur une barriere, a cinq pas de son cheval qui, affole, s'enfuit. Mais la violence de sa propre attaque avait desequilibre Lionel. Le coup porte par la lance d'Arnaud, bien que tombant a faux, avait fait le reste. Il vida les etriers, glissa lourdement sur le sol qu'il toucha dans un tintamarre de ferraille.
— Quelle chute sans grace ! commenta Saint-Remy narquois a l'usage de Catherine. Mais elle a du moins l'avantage d'egaliser les chances.
La culbute de Vendome avait ete grandement utile a son adversaire.
Souple comme un chat malgre les clinquantes livres de fer qu'il avait sur le dos, malgre aussi une nouvelle blessure, bientot visible quand le sang commenca a s'elargir sur la cotte fleurdelisee, au defaut de l'epaule, il avait saute sur ses pieds. Mais, gene par les pointes de ses longues poulaines d'acier, il avait vivement arrache ses solerets avant de saisir la hache d'armes plantee non loin de lui. Il etait presque devant Catherine a cet instant et la jeune femme le vit avancer sur son adversaire a petits pas courts, les prunelles retrecies, la targe au coude gauche et la hache levee. A son tour, Lionel de Vendome se redressait. Debout, face a face, la difference de taille entre les deux adversaires etait criante. Arnaud mesurait a peu pres un metre quatre-vingt-trois ou quatre, mais, aupres des deux metres dix du batard, il semblait petit. Dans la poigne de Lionel, la hache avait l'air d'un tronc d'arbre emmanche d'acier gris. Sans reprendre haleine et sans en laisser le temps au batard, Arnaud avait bondi. Il voulait vaincre et vaincre vite.