Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта (книги хорошем качестве бесплатно без регистрации .txt) 📗
Vetue d'une des robes elegantes, bien peu nombreuses, qu'elle possedait encore, elle s'installa aupres de son hote sous un dais seigneurial et ce fut Gauthier qui servit le festin, avec plus de bonne volonte que de style.
Mais les deux amis n'en devorerent pas moins vigoureusement la soupe aux choux et les chapons rotis de l'abbe.
Quand on sortit de table, Catherine vit que la nuit etait tout a fait tombee, et s'informa de Fortunat. Toute la journee, elle avait attendu son retour, avec l'espoir absurde de nouvelles fraiches. Comme s'il pouvait y avoir des nouvelles quelconques lorsqu'il s'agissait d'un lepreux ?... Ce fut une deception d'apprendre qu'il n'etait pas encore revenu. Et a cette deception s'ajouta une inquietude en constatant que Gauthier semblait soucieux.
— Il a du s'attarder, dit-elle lorsqu'il revint d'une ultime visite a la loge du frere-portier. Il reviendra demain.
Mais le Normand hocha la tete.
— Fortunat ? Il est d'une exactitude d'horloge. Il part toujours a la meme heure, il revient toujours a la meme heure, juste avant le souper. Ce n'est pas naturel qu'il ne soit pas la.
Son regard croisa celui de Catherine. Tous deux avaient la meme pensee. Il etait arrive quelque chose a Fortunat, mais quoi ? Une mauvaise rencontre etait toujours possible bien que la region fut assez sure depuis que les Armagnacs avaient renforce la garnison de Carlat et que l'energique Bernard de Calmont regentait l'abbaye. L'Anglais, d'ailleurs, abandonnait une a une les places fortes d'Auvergne.
— Attendons, fit seulement Catherine.
— Demain, a l'aube, j'irai au-devant de lui.
Catherine eut envie de dire : « J'irai avec toi. » Mais elle se ravisa. Elle ne pouvait pas laisser Isabelle en ce moment. Dans ses rares instants de lucidite, la vieille dame la reclamait aussitot et montrait une telle joie de sa presence que Catherine se faisait scrupule de l'en priver. Elle se contenta de soupirer :
— C'est bien. Tu feras comme bon te semblera.
Avant de se coucher, elle fit un tour dans la maison, soucieuse de remplir exactement tous ses devoirs d'hotesse. Puisque l'abbe lui laissait la libre disposition de l'hotellerie, elle entendait que tout y marchat au mieux. Elle alla meme jusqu'a l'ecurie, ou l'on avait installe les chevaux de l'escorte, mais c'etait plus pour une raison sentimentale que par souci de bon ordre. En effet, elle avait eu la surprise d'y retrouver Morgane, sa jument blanche, que l'Ecossais Hugh Kennedy, fidele a la promesse qu'il lui avait faite, avait fait ramener de Carlat. Morgane etait pour elle un personnage d'importance, autant qu'une amie. Toutes deux se comprenaient a merveille et s'etaient retrouvees avec joie.
— Nous voila destinees a vieillir doucement ensemble, dit Catherine avec un peu de melancolie en flattant la robe neigeuse de Morgane. Tu ne seras plus que la sage haquenee d'une dame encore plus sage.
Les grands yeux intelligents de Morgane la regarderent avec une expression que Catherine jugea diabolique et le hennissement batailleur qui l'accompagnait laissait entendre clairement que la petite jument, pour sa part, n'en croyait rien... C'etait tellement frappant que Catherine se mit a rire. Elle tendit a Morgane un morceau de sucre apporte tout expres pour elle, puis lui claqua gentiment la croupe.
— Nous avons envie d'aventures, a ce qu'il parait ? Eh bien, ma belle, il faudra te faire une raison.
En quittant l'ecurie, Catherine fut tentee de s'attarder dans la cour parce que la nuit etait exceptionnellement belle, mais Donatienne vint lui dire qu'elle lui avait dresse un lit dans une chambre voisine de celle d'Isabelle.
— Je voulais reinstaller pres d'elle, protesta Catherine. Vous avez suffisamment veille, Donatienne. Il faut dormir.
— Bah ! je dors aussi bien sur un banc, dit la vieille paysanne avec un bon sourire. Et puis, je crois que cette nuit elle dormira bien. Le frere apothicaire m'a donne pour elle une decoction de pavots... Vous devriez bien en prendre un peu, vous aussi. Vous semblez si nerveuse.
— Je crois que je dormirai parfaitement sans cela.
Elle alla embrasser Michel qui gazouillait une priere sous l'?il impassible de Gauthier. La camaraderie qui unissait l'enfant au gigantesque Normand l'avait a la fois amusee et surprise. Tous deux s'entendaient a merveille et si Gauthier usait envers le petit seigneur d'une certaine deference, il ne lui passait pas pour autant touates ses fantaisies. Quant a Michel, il adorait Gauthier dont il admirait visiblement la force.
Il avait accueilli sa mere comme si elle l'avait quitte la veille seulement. Il avait couru, sur ses petites jambes, encore hesitantes, jusque dans ses bras, du plus loin qu'il l'avait vue et, nouant ses petites mains, a son cou, il avait niche sa tete blonde contre celle de Catherine et puis il avait eu un grand soupir de bonheur.
— Maman, avait-il dit seulement.
Et Catherine en avait pleure.
Ce soir-la, elle l'installa elle-meme dans son lit puis, l'ayant embrasse, le laissa ecouter l'histoire que commencait Gauthier.
Chaque soir, le Normand racontait une histoire a son petit ami, ou un fragment d'histoire si le recit etait trop long, et c'etaient toujours ces etranges legendes du Nord, pleines de genies, de dieux fantastiques et de vierges guerrieres. Le petit ecoutait, bouche bee, et finissait par s'endormir peu a peu.
Catherine se retira sur la pointe des pieds tandis que Gauthier commencait :
« Alors, le fils d'Eric le Rouge monta dans son bateau avec ses compagnons et s'en alla avec eux sur la grande mer... »
La voix de Gauthier avait quelque chose d'endormant. L'enfant etait trop jeune pour comprendre ces recits d'un autre age, mais il ouvrait tout de meme de grands yeux emerveilles, attire par la melopee des mots inconnus et le charme de ce timbre grave. Dans son petit lit etroit, Catherine s'y laissa aller elle aussi, sensible a l'apaisement que la voix lui apportait. Sa derniere pensee fut pour Sara. Ils avaient voyage si vite, elle et les Bretons, qu'ils avaient pu la depasser sans le savoir.
Mais, sans doute, ne tarderait-elle plus maintenant. L'idee qu'il put lui arriver quelque chose ne l'effleura meme pas. Sara etait indestructible, elle savait les secrets de la Nature et la Nature etait son amie. Bientot elle serait la... oui, bientot...
Le fils d'Eric le Rouge voguait depuis peu de temps sur les vagues vertes de la mer qui n'a pas de fin, que Catherine dormait profondement.
Elle eut une etrange vision, vers le milieu de la nuit. Dormait-elle toujours ou bien etait-elle eveillee a demi ? Etait-ce un reve ?
Toujours est-il qu'il lui sembla ouvrir les yeux sur le decor encore etranger de sa chambre. Le silence etait complet, mais la veilleuse qui brulait chez Isabelle eclairait encore. De son lit, Catherine pouvait voir Donatienne endormie, le nez dans son giron et la coiffe de travers sur son banc garni de coussins... Soudain, une forme sombre se glissa aupres du lit de la malade... celle d'un homme vetu de noir qui portait un masque... La terreur s'enfla dans la gorge de Catherine. Elle voulut crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Elle voulut bouger, mais ses membres, son corps etaient devenus si lourds qu'elle avait l'impression d'etre liee sur son lit. Dans un cauchemar elle vit l'homme se pencher, se pencher encore sur le lit d'Isabelle, faire un geste puis se redresser. Persuadee que l'inconnu etait en train d'assassiner la malade, Catherine ouvrit la bouche, mais de nouveau aucun son ne vint...
L'homme maintenant reculait, se retournait, son masque a la main, et la peur de Catherine se changea en une joie immense qui la submergea. Elle reconnaissait si bien le profil fier, les yeux sombres, la bouche ferme de son epoux. Arnaud ! C'etait Arnaud ! Une merveilleuse vague de bonheur, comme seuls les reves en procurent, envahit Catherine. Il etait la, il etait revenu... Dieu, sans doute, avait fait un miracle car le beau visage dont elle avait garde un souvenir si net etait intact. Aucune trace de l'affreuse maladie ne s'y voyait. Mais pourquoi donc etait-il si pale, si mortellement triste ?