Les Aventures De Pinocchio - Collodi Carlo (читать книги бесплатно полностью без регистрации .TXT) 📗
– Vous me faites bien rire! – retorqua la marionnette en les defiant d’un mouvement de tete.
– Ca suffit, Pinocchio! – menaca alors le plus grand des garnements – Arrete de faire le fanfaron et de jouer les petits coqs! Si tu n’as pas peur de nous, nous n’avons pas peur de toi. N’oublie pas que tu es tout seul et que nous sommes sept.
– Ouais, comme les sept peches capitaux – lanca Pinocchio en eclatant de rire.
– Vous avez entendu? Il nous a insultes! Il nous a traites de peches capitaux!
– Pinocchio, demande pardon! Sinon, gare a toi!
– Coucou, je suis la! – fit la marionnette en se tapotant le nez avec le doigt pour se moquer d’eux.
– Pinocchio, ca va mal finir!
– Coucou!
– On te battra comme platre!
– Coucou! Coucou!
– Tu vas rentrer chez toi le nez en compote!
– Coucou!
– Je vais t’en donner du coucou, moi – hurla le plus hardi des gamins – En attendant, prends toujours cet acompte et garde-le au chaud pour ton diner de ce soir.
Et il lui decocha un coup de poing en pleine figure.
Comme il fallait s’y attendre, la marionnette repondit du tac au tac en frappant a son tour son agresseur et la bagarre devint generale
Bien qu’il fut seul contre tous, Pinocchio se montrait heroique. Pour tenir a distance ses ennemis, il se servait avec dexterite de ses pieds en bois qui etaient tres durs. Et quand il faisait mouche, il laissait toujours un bleu en souvenir.
Les garcons, depites de ne pas pouvoir se mesurer au corps a corps avec la marionnette, imaginerent alors de lui envoyer des projectiles. Defaisant leurs ballots de livres, ils se mirent a lui lancer a la figure abecedaires et grammaires, les «Contes» de Thouar et le «Poussin» de Madame Baccini, toutes sortes de manuels scolaires que Pinocchio, qui etait vif et degourdi, evitait en baissant la tete si bien que, passant au-dessus de lui, les livres finissaient tous dans la mer.
Quant aux poissons, croyant que ces bouquins etaient de la nourriture, ils accouraient a la surface de l’eau par bancs entiers. Mais apres avoir attrape une page ou une couverture, ils la recrachaient aussitot avec une mine de degout comme pour dire: «Ces trucs-la ne sont pas pour nous. Ce que l’on mange d’habitude est bien meilleur!»
Alors que le combat s’intensifiait, un grand crabe, sorti des fonds marins et qui s’etait hisse pesamment sur le rivage, cria aux ecoliers d’une voix eraillee de trombone enrhume:
– Arretez, petits droles! Ces pugilats finissent toujours mal. A chaque fois un malheur arrive!
Pauvre crabe! C’est comme s’il avait preche dans le desert. Meme ce benet de Pinocchio le regarda de travers et lui lanca fort peu aimablement:
– La ferme, espece de raseur! Tu ferais mieux de sucer deux pastilles de lichen pour guerir ton rhume. Va donc te mettre au lit et attraper une bonne suee!
Au meme moment les ecoliers, qui avaient epuise leurs propres stocks de livres, repererent ceux de la marionnette qui trainaient non loin d’eux et s’en emparerent en un clin d’?il.
Parmi ces livres, il y avait un volume relie avec du carton epais et du parchemin au dos et aux angles. C’etait un traite d’arithmetique qui pesait des tonnes.
L’un des gamins attrapa le livre, visa la tete de Pinocchio et le lanca de toutes ses forces. Mais au lieu de toucher la marionnette, le traite d’arithmetique rencontra la tempe d’un autre gosse et le garcon, blanc comme un linge, s’effondra sur le sable en hurlant:
– Maman, au secours! Je meurs…
A la vue du gisant, les enfants, effrayes, detalerent a toutes jambes et disparurent
Attriste et paralyse par la peur, Pinocchio fut le seul a rester. Il parvint neanmoins a aller tremper son mouchoir dans l’eau pour rafraichir le front de son camarade d’ecole. Pleurant a chaudes larmes, il l’appelait par son nom et le suppliait:
– Eugene, mon pauvre Eugene! Ouvre les yeux, regarde-moi! Pourquoi tu ne reponds pas? Ce n’est pas moi, tu sais, qui t’ai fait mal! Crois-moi, ce n’est pas de ma faute! Ouvre les yeux, Eugene! Ouvre-les, sinon je vais mourir moi aussi… Oh, mon Dieu! Comment je vais faire pour rentrer a la maison? Comment trouver le courage de me montrer a ma chere maman? Que vais-je devenir? Ou m’enfuir? Ou me cacher? Oh! J’aurais bien mieux fait d’aller a l’ecole! Pourquoi donc ai-je ecoute mes camarades? A cause d’eux, je suis damne. Pourtant, le maitre me l’avait bien dit, et aussi ma maman: «Mefie-toi des mauvais camarades!». Mais j’ai la tete dure comme du bois, je suis obstine comme une mule… Je n’ecoute rien et n’en fais qu’a ma guise! Et apres, je paie les pots casses. C’est comme cela depuis que je suis ne. Jamais je n’ai eu une minute de repit. Oh! Mon Dieu! Que vais-je devenir? Que vais-je devenir?
Et il pleurait. Et il braillait. Et il se frappait le front en appelant le pauvre Eugene. Et puis il entendit des pas.
C’etaient deux gendarmes.
– Qu’est-ce que tu fais par terre? – demanderent-ils
– Je soigne mon copain.
– Il s’est fait mal?
– Ben oui!
– C’est meme serieux! – observa l’un des gendarmes qui s’etait penche sur Eugene – Ce garcon est blesse a la tempe. Qui lui a fait ca?
– Ce n’est pas moi – balbutia la marionnette qui ne respirait plus.
– Si ce n’est pas toi, c’est qui?
– C’est… Ce n’est pas moi…
– Et avec quoi a-t-il ete blesse?
– Avec ce livre.
Pinocchio ramassa le traite d’arithmetique et le montra aux gendarmes.
– Ce livre, il est a qui? – questionna l’un des gendarmes.
– A moi…
– Bon, on a compris. Leve-toi et suis-nous.
– Mais je…
– Suis-nous, je te dis!
– Mais je suis innocent…
– Allez! En route!
Comme des pecheurs venaient a passer, frolant le rivage avec leur bateau, les gendarmes les interpellerent:
– On vous confie ce garcon blesse. Emmenez-le chez vous et soignez-le. On passera demain le voir.
Puis ils placerent Pinocchio entre eux et lui ordonnerent brutalement:
– Maintenant, en avant! Et pas de trainasserie! Sinon, gare a toi!
La marionnette ne se le fit pas repeter deux fois et ils s’engagerent sur le sentier qui conduisait au village. Mais le pauvre diable de Pinocchio ne savait plus ou il en etait. Il lui semblait etre en plein reve, vivre un cauchemar. Il n’etait plus lui-meme. Il voyait double, ses jambes tremblaient, sa langue, collee au palais, l’empechait de parler. Pourtant, malgre son hebetude, une pensee lui dechirait le c?ur: celle de devoir passer sous les fenetres de la bonne Fee escorte de deux gendarmes. Il aurait prefere mourir.