Sc?nes De La Vie De Boh?me - Murger Henry (электронную книгу бесплатно без регистрации .TXT) 📗
– Je comprends, dit Marcel en offrant son bras a Musette. Il la conduisit a son atelier, situe quai aux fleurs.
Musette tombait de sommeil; mais elle eut encore assez de force pour dire a Marcel en lui serrant la main:
– Vous vous rappelerez ce que vous m'avez promis.
– O Musette! Charmante fille, dit l'artiste d'une voix un peu emue, vous etes ici sous un toit hospitalier; dormez en paix, bonne nuit; moi, je m'en vais.
– Pourquoi? dit Musette, les yeux presque fermes; je n'ai point peur, je vous assure; d'abord il y a deux chambres, je me mettrai sur votre canape.
– Mon canape est trop dur pour y dormir, ce sont des cailloux cardes. Je vous donne l'hospitalite chez moi, et je vais aller la demander pour moi a un ami qui demeure la sur mon carre; c'est plus prudent, dit-il. Je tiens ordinairement ma parole; mais j'ai vingt-deux ans, et vous dix-huit, o Musette… et je m'en vais. Bonsoir.
Le lendemain matin, a huit heures, Marcel rentra chez lui avec un pot de fleurs qu'il avait ete acheter au marche. Il trouva Musette qui s'etait jetee tout habillee sur le lit et dormait encore. Au bruit qu'il fit elle se reveilla et tendit la main a Marcel.
– Brave garcon! Lui dit-elle.
– Brave garcon, repeta Marcel, n'est-il point la un synonyme a ridicule?
– Oh! fit Musette, pourquoi me dites-vous cela? Ce n'est pas aimable; au lieu de me dire des mechancetes, offrez-moi donc ce joli pot de fleurs.
– C'est en effet a votre intention que je l'ai monte, dit Marcel. Prenez-le donc, et, en retour de mon hospitalite, chantez-moi une de vos jolies chansons; l'echo de ma mansarde gardera peut-etre quelque chose de votre voix, et je vous entendrai encore quand vous serez partie.
– Ah ca! mais, vous voulez donc me mettre a la porte? dit Musette. Et si je ne veux pas m'en aller, moi? Ecoutez, Marcel, je ne monte pas a trente-six echelles pour dire ma facon de penser. Vous me plaisez et je vous plais. Ca n'est pas de l'amour, mais c'en est peut-etre de la graine. Eh bien! Je ne m'en vais pas; je reste, et je resterai ici tant que les fleurs que vous venez de me donner ne se faneront pas.
– Ah! s'ecria Marcel, mais elles seront fletries dans deux jours! Si j'avais su, j'aurais pris des immortelles.
Depuis quinze jours Musette et Marcel demeuraient ensemble et menaient, bien qu'ils fussent souvent sans argent, la plus charmante vie du monde. Musette sentait pour l'artiste une tendresse qui n'avait rien de commun avec ses passions anterieures, et Marcel commencait a craindre qu'il ne fut amoureux serieusement de sa maitresse. Ignorant qu'elle-meme redoutait fort d'etre eprise de lui, il regardait chaque matin l'etat dans lequel se trouvaient les fleurs dont la mort devait amener la rupture de leur liaison, et il avait grand'peine a s'expliquer leur fraicheur chaque jour nouvelle. Mais il eut bientot la clef du mystere: une nuit, en se reveillant, il ne trouva plus Musette a cote de lui. Il se leva, courut dans la chambre, et apercut sa maitresse qui profitait chaque nuit de son sommeil pour arroser les fleurs et les empecher de mourir.