Sc?nes De La Vie De Boh?me - Murger Henry (электронную книгу бесплатно без регистрации .TXT) 📗
– Bon! dit Schaunard, il n'aura pas de cafe, n'est-ce pas, madame?
– A propos, dit Rodolphe, sers-nous donc le cafe, Mimi.
Celle-ci allait se lever, quand Colline, qui avait retrouve un peu de sang-froid, la retint par la taille et lui dit confidentiellement a l'oreille:
– Madame, le cafe est originaire de l'Arabie, ou il fut decouvert par une chevre. L'usage en passa en Europe. Voltaire en prenait soixante-douze tasses par jour. Moi, je l'aime sans sucre, mais je le prends tres-chaud.
– Dieu! Comme ce monsieur est savant! Pensait Mimi en apportant le cafe et les pipes.
Cependant l'heure s'avancait; minuit avait sonne depuis longtemps, et Rodolphe essaya de faire comprendre a ses convives qu'il etait temps de se retirer. Marcel, qui avait conserve toute sa raison, se leva pour partir.
Mais Schaunard s'apercut qu'il y avait encore de l'eau-de-vie dans une bouteille, et declara qu'il ne serait pas minuit tant qu'il resterait quelque chose dans le flacon. Pour Colline, il etait a cheval sur sa chaise et murmurait a voix basse:
– Lundi, mardi, mercredi, jeudi.
– Ah ca! disait Rodolphe tres-embarrasse, je ne peux pourtant pas les garder ici cette nuit; autrefois, c'etait bien; mais maintenant c'est autre chose, ajouta-t-il en regardant Mimi, dont le regard, doucement allume, semblait appeler la solitude a deux.
– Comment donc faire? Conseille-moi donc un peu, toi, Marcel. Invente une ficelle pour les eloigner.
– Non, je n'inventerai pas, dit Marcel, mais j'imiterai.
– Je me rappelle une comedie ou un valet intelligent trouve le moyen de mettre a la porte de chez son maitre trois coquins ivres comme Silene.
– Je me souviens de ca, fit Rodolphe, c'est dans Kean . En effet, la situation est la meme.
– Eh bien, dit Marcel, nous allons voir si le theatre est la nature. Attends un peu, nous commencerons par Schaunard. Eh! Schaunard! s'ecria le peintre.
– Hein? Qu'est-ce qu'il y a? repondait celui-ci, qui semblait nager dans le bleu d'une douce ivresse.
– Il y a qu'il n'y a plus rien a boire ici, et que nous avons tous soif.
– Ah! Oui, dit Schaunard, ces bouteilles, c'est si petit.
– Eh bien, reprit Marcel, Rodolphe a decide qu'on passerait la nuit ici; mais il faut aller chercher quelque chose avant que les boutiques soient fermees…
– Mon epicier demeure au coin de la rue, dit Rodolphe. Schaunard, tu devrais y aller. Tu prendras deux bouteilles de rhum de ma part.
– Oh! Oui, oh! Oui, oh! Oui, dit Schaunard en se trompant de paletot et prenant celui de Colline, qui faisait des losanges sur la nappe avec son couteau.
– Et d'un! dit Marcel quand Schaunard fut parti. Passons maintenant a Colline, celui-la sera dur. Ah! Une idee. Eh! Eh! Colline, fit-il en heurtant violemment le philosophe.
– Quoi?… quoi?… quoi?…
– Schaunard vient de partir et a pris par erreur ton paletot noisette.
Colline regarda autour de lui et apercut en effet, a la place ou etait son vetement, le petit habit a carreaux de Schaunard. Une idee soudaine lui traversa l'esprit et l'emplit d'inquietude. Colline, selon son habitude, avait bouquine dans la journee, et il avait achete, pour quinze sous, une grammaire finlandaise et un petit roman de M. Nisard, intitule: le Convoi de la Laitiere. A ces deux acquisitions etaient joints sept ou huit volumes de haute philosophie, qu'il avait toujours sur lui, afin d'avoir un arsenal ou puiser des arguments en cas de discussion philosophique. L'idee de savoir cette bibliotheque entre les mains de Schaunard lui donna une sueur froide.
– Le malheureux! s'ecria Colline, pourquoi a-t-il pris mon paletot?
– C'est par erreur.
– Mais mes livres… il peut en faire un mauvais usage.
– N'aie point peur, il ne les lira pas, dit Rodolphe.
– Oui, mais je le connais, moi; il est capable d'allumer sa pipe avec.
– Si tu es inquiet, tu peux le rattraper, dit Rodolphe, il vient de sortir a l'instant; si tu trouveras a la porte.
– Certainement que je le rattraperai, repondit Colline en se couvrant de son chapeau, dont les bords sont si larges, qu'on pourrait facilement servir dessus un the pour dix personnes.
– Et de deux, dit Marcel a Rodolphe; te voila libre, je m'en vais, et je recommanderai au portier de ne point ouvrir si on frappe.
– Bonne nuit, fit Rodolphe, et merci.
Comme il venait de reconduire son ami, Rodolphe entendit dans l'escalier un miaulement prolonge, auquel son chat ecarlate repondit par un autre miaulement, en essayant avec subtilite une evasion par la porte entre-baillee.
– Pauvre Romeo! dit Rodolphe, voila sa Juliette qui l'appelle; allons, va, fit-il en ouvrant sa porte a la bete enamouree qui ne fit qu'un bond de l'escalier jusque entre les pattes de son amante.
Reste seul avec sa maitresse qui, debout devant un miroir, bouclait ses cheveux dans une charmante attitude provocatrice, Rodolphe s'approcha de Mimi et l'enlaca dans ses bras. Puis, comme un musicien qui, avant de commencer son morceau, frappe un placage d'accords pour s'assurer de la capacite de son instrument, Rodolphe assit la jeune Mimi sur ses genoux et lui appuya sur l'epaule un long et sonore baiser qui imprima une vibration soudaine au corps de la printaniere creature.
L'instrument etait d'accord.