Le pere Goriot - де Бальзак Оноре (читать книги онлайн бесплатно регистрация .txt) 📗
— Allez ! je ne veux pas vous couter un plaisir, dit-elle.
Eugene fut bientot reclame par Delphine, heureuse de l’effet qu’elle produisait, et jalouse de mettre aux pieds de l’etudiant les hommages qu’elle recueillait dans ce monde, ou elle esperait etre adoptee.
— Comment trouvez-vous Nasie ? lui dit-elle.
— Elle a, dit Rastignac, escompte jusqu’a la mort de son pere.
Vers quatre heures du matin, la foule des salons commencait a s’eclaircir. Bientot la musique ne se fit plus entendre. La duchesse de Langeais et Rastignac se trouverent seuls dans le grand salon. La vicomtesse, croyant n’y rencontrer que l’etudiant, y vint apres avoir dit adieu a monsieur de Beauseant, qui s’alla coucher en lui repetant : — Vous avez tort, ma chere, d’aller vous enfermer a votre age ! Restez donc avec nous.
En voyant la duchesse, madame de Beauseant ne put retenir une exclamation.
— Je vous ai devinee, Clara, dit madame de Langeais. Vous partez pour ne plus revenir ; mais vous ne partirez pas sans m’avoir entendue et sans que nous nous soyons comprises. Elle prit son amie par le bras, l’emmena dans le salon voisin, et la, la regardant avec des larmes dans les yeux, elle la serra dans ses bras et la baisa sur les joues. — Je ne veux pas vous quitter froidement, ma chere, ce serait un remords trop lourd. Vous pouvez compter sur moi comme sur vous-meme. Vous avez ete grande ce soir, je me suis sentie digne de vous, et veux vous le prouver. J’ai eu des torts envers vous, je n’ai pas toujours ete bien, pardonnez-moi, ma chere : je desavoue tout ce qui a pu vous blesser, je voudrais reprendre mes paroles. Une meme douleur a reuni nos ames, et je ne sais qui de nous sera la plus malheureuse. Monsieur de Montriveau n’etait pas ici ce soir, comprenez-vous ? Qui vous a vue pendant ce bal, Clara, ne vous oubliera jamais. Moi, je tente un dernier effort. Si j’echoue, j’irai dans un couvent ! Ou allez-vous, vous ?
— En Normandie, a Courcelles, aimer, prier, jusqu’au jour ou Dieu me retirera de ce monde.
— Venez, monsieur de Rastignac, dit la vicomtesse d’une voix emue, en pensant que ce jeune homme attendait. L’etudiant plia le genou, prit la main de sa cousine et la baisa. — Antoinette, adieu ! reprit madame de Beauseant, soyez heureuse. Quant a vous, vous l’etes, vous etes jeune, vous pouvez croire a quelque chose, dit-elle a l’etudiant. A mon depart de ce monde, j’aurai eu, comme quelques mourants privilegies, de religieuses, de sinceres emotions autour de moi !
Rastignac s’en alla vers cinq heures, apres avoir vu madame de Beauseant dans sa berline de voyage, apres avoir recu son dernier adieu mouille de larmes qui prouvaient que les personnes les plus elevees ne sont pas mises hors de la loi du c?ur et ne vivent pas sans chagrins, comme quelques courtisans du peuple voudraient le lui faire croire. Eugene revint a pied vers la maison Vauquer, par un temps humide et froid. Son education s’achevait.
— Nous ne sauverons pas le pauvre pere Goriot, lui dit Bianchon quand Rastignac entra chez son voisin.
— Mon ami, lui dit Eugene apres avoir regarde le vieillard endormi, va, poursuis la destinee modeste a laquelle tu bornes tes desirs. Moi, je suis en enfer, et il faut que j’y reste. Quelque mal que l’on te dise du monde, crois-le ! il n’y a pas de Juvenal qui puisse en peindre l’horreur couverte d’or et de pierreries.
Le lendemain, Rastignac fut eveille sur les deux heures apres midi par Bianchon, qui, force de sortir, le pria de garder le pere Goriot, dont l’etat avait fort empire pendant la matinee.
— Le bonhomme n’a pas deux jours, n’a peut-etre pas six heures a vivre, dit l’eleve en medecine, et cependant nous ne pouvons pas cesser de combattre le mal. Il va falloir lui donner des soins couteux. Nous serons bien ses garde-malades ; mais je n’ai pas le sou, moi. J’ai retourne ses poches, fouille ses armoires : zero au quotient. Je l’ai questionne dans un moment ou il avait sa tete, il m’a dit ne pas avoir un liard a lui. Qu’as-tu, toi ?
— Il me reste vingt francs, repondit Rastignac ; mais j’irai les jouer, je gagnerai.
— Si tu perds ?
— Je demanderai de l’argent a ses gendres et a ses filles.
— Et s’ils ne t’en donnent pas ? reprit Bianchon. Le plus presse dans ce moment n’est pas de trouver de l’argent, il faut envelopper le bonhomme d’un sinapisme bouillant depuis les pieds jusqu’a la moitie des cuisses. S’il crie, il y aura de la ressource. Tu sais comment cela s’arrange. D’ailleurs, Christophe [Chistophe] t’aidera. Moi, je passerai chez l’apothicaire repondre de tous les medicaments que nous y prendrons. Il est malheureux que le pauvre homme n’ait pas ete transportable a notre hospice, il y aurait ete mieux. Allons, viens que je t’installe, et ne le quitte pas que je ne sois revenu.
Les deux jeunes gens entrerent dans la chambre ou gisait le vieillard. Eugene fut effraye du changement de cette face convulsee, blanche et profondement debile.
— Eh ! bien, papa ? lui dit-il en se penchant sur le grabat.
Goriot leva sur Eugene des yeux ternes et le regarda fort attentivement sans le reconnaitre. L’etudiant ne soutint pas ce spectacle, des larmes humecterent ses yeux.
— Bianchon, ne faudrait-il pas des rideaux aux fenetres ?
— Non. Les circonstances atmospheriques ne l’affectent plus. Ce serait trop heureux s’il avait chaud ou froid. Neanmoins il nous faut du feu pour faire les tisanes et preparer bien des choses. Je t’enverrai des falourdes qui nous serviront jusqu’a ce que nous ayons du bois. Hier et cette nuit, j’ai brule le tien et toutes les mottes du pauvre homme. Il faisait humide, l’eau degouttait des murs. A peine ai-je pu secher la chambre. Christophe l’a balayee, c’est vraiment une ecurie. J’y ai brule du genievre, ca puait trop.
— Mon Dieu ! dit Rastignac, mais ses filles !
— Tiens, s’il demande a boire, tu lui donneras de ceci, dit l’interne en montrant a Rastignac un grand pot blanc. Si tu l’entends se plaindre et que le ventre soit chaud et dur, tu te feras aider par Christophe pour lui administrer… tu sais. S’il avait, par hasard, une grande exaltation, s’il parlait beaucoup, s’il avait enfin un petit brin de demence, laisse-le aller. Ce ne sera pas un mauvais signe. Mais envoie Christophe a l’hospice Cochin. Notre medecin, mon camarade ou moi, nous viendrions lui appliquer des moxas. Nous avons fait ce matin pendant que tu dormais, une grande consultation avec un eleve du docteur Gall, avec un medecin en chef de l’Hotel-Dieu et le notre. Ces messieurs ont cru reconnaitre de curieux symptomes, et nous allons suivre les progres de la maladie, afin de nous eclairer sur plusieurs points scientifiques assez importants. Un de ces messieurs pretend que la pression du serum, si elle portait plus sur un organe que sur un autre, pourrait developper des faits particuliers. Ecoute-le donc bien, au cas ou il parlerait, afin de constater a quel genre d’idees appartiendraient ses discours : si c’est des effets de memoire, de penetration, de jugement ; s’il s’occupe de materialites, ou de sentiments ; s’il calcule, s’il revient sur le passe ; enfin sois en etat de nous faire un rapport exact. Il est possible que l’invasion ait lieu en bloc, il mourra imbecile comme il l’est en ce moment. Tout est bien bizarre dans ces sortes de maladies ! Si la bombe crevait par ici, dit Bianchon en montrant l’occiput du malade, il y a des exemples de phenomenes singuliers : le cerveau recouvre quelques-unes de ses facultes, et la mort est plus lente a se declarer. Les serosites peuvent se detourner du cerveau, prendre des routes dont on ne connait le cours que par l’autopsie. Il y a aux Incurables un vieillard hebete chez qui l’epanchement a suivi la colonne vertebrale, il souffre horriblement, mais il vit.
— Se sont-elles bien amusees ? dit le pere Goriot, qui reconnut Eugene.
— Oh ! il ne pense qu’a ses filles, dit Bianchon. Il m’a dit plus de cent fois cette nuit : Elles dansent ! Elle a sa robe. Il les appelait par leurs noms. Il me faisait pleurer, diable m’emporte ! avec ses intonations : Delphine ! ma petite Delphine ! Nasie ! Ma parole d’honneur, dit l’eleve en medecine, c’etait a fondre en larmes.