Sc?nes De La Vie De Boh?me - Murger Henry (электронную книгу бесплатно без регистрации .TXT) 📗
Il se leva, comme moi, sans rien dire, et faillit tomber dans la chambre aux premiers pas qu'il fit, tant il etait faible et abattu. Cependant il s'habilla tres-vite, et me demanda seulement ou en etaient mes affaires et quand je partais. Je lui repondis que je n'en savais rien. Il s'en alla sans me dire a revoir, sans me serrer la main. Voila comment nous nous sommes quittes. Quel coup il a du recevoir dans le c?ur lorsqu'il ne m'a plus trouvee en rentrant, hein?
– J'etais la lorsque Rodolphe est rentre, dit Marcel a Mimi essoufflee d'avoir parle aussi longtemps. Comme il prenait sa clef chez la maitresse d'hotel, celle-ci lui a dit:
– La petite est partie.
– Ah! repondit Rodolphe, cela ne m'etonne pas; je m'y attendais. Et il monta dans sa chambre, ou je le suivis, craignant aussi quelque crise; mais il n'en fut rien.
– Comme il est trop tard pour aller louer une autre chambre ce soir, ce sera pour demain matin, me dit-il, nous nous en irons ensemble. Allons diner.
Je croyais qu'il voulait se griser, mais je me trompais. Nous avons fait un diner tres-sobre dans un restaurant ou vous alliez quelquefois manger avec lui. J'avais demande du vin de Beaune pour etourdir un peu Rodolphe.
– C'etait le vin favori de Mimi, me dit-il; nous en avons bu souvent ensemble, a cette table ou nous sommes. Je me souviens qu'un jour elle me disait, en tendant son verre deja plusieurs fois vide: «Verse encore, cela me met du baume dans le c?ur.» C'etait un mot assez mediocre, trouves-tu pas? Digne tout au plus de la maitresse d'un vaudevilliste. Ah! Elle buvait bien, Mimi. Le voyant dispose a s'enfoncer dans les sentiers du ressouvenir, je lui parlai d'autre chose, et il ne fut plus question de vous. Il passa la soiree entiere avec moi, et parut aussi calme que la Mediterranee. Ce qui m'etonnait le plus, c'est que ce calme n'avait rien d'affecte. C'etait de l'indifference sincere. A minuit nous rentrames.
– Tu parais surpris de ma tranquillite dans la situation ou je me trouve, me dit-il; laisse-moi te faire une comparaison, mon cher, et, si elle est vulgaire, elle a du moins le merite d'etre juste. Mon c?ur est comme une fontaine dont on a laisse le robinet ouvert toute la nuit; le matin, il ne reste pas une seule goutte d'eau. En verite, de meme est mon c?ur: j'ai pleure cette nuit tout ce qui me restait de larmes. Cela est singulier; mais je me croyais plus riche de douleurs, et, pour une nuit de souffrances, me voila ruine, completement a sec, ma parole d'honneur! C'est comme je le dis; et dans ce meme lit ou j'ai failli rendre l'ame la nuit derniere, pres d'une femme qui n'a pas plus remue qu'une pierre, alors que cette femme appuie maintenant sa tete sur l'oreiller d'un autre, je vais dormir comme un portefaix qui a fait une excellente journee.
– Comedie, pensai-je en moi-meme; je ne serai pas plus tot parti, qu'il battera les murailles avec sa tete. Cependant je laissai Rodolphe seul, et je remontai chez moi, mais je ne me couchai pas. A trois heures du matin, je crus entendre du bruit dans la chambre de Rodolphe; j'y descendis en toute hate, croyant le trouver au milieu de quelque fievre desesperee…
– Eh bien? dit Mimi.
– Eh bien, ma chere, Rodolphe dormait, le lit n'etait pas defait, et tout prouvait que son sommeil avait ete calme, et qu'il n'avait pas tarde a s'y abandonner.
– C'est possible, dit Mimi: il etait si fatigue de la nuit precedente… mais le lendemain?…
– Le lendemain, Rodolphe est venu m'eveiller de bonne heure, et nous avons ete louer des chambres dans un autre hotel, ou nous sommes emmenages le soir meme.
– Et, demanda Mimi, qu'a-t-il fait en quittant la chambre que nous occupions? qu'a-t-il dit en abandonnant cette chambre ou il m'a tant aimee?
– Il a fait ses paquets tranquillement, repondit Marcel; et comme il avait trouve dans un tiroir une paire de gants en filet que vous avez oubliee, ainsi que deux ou trois lettres egalement a vous…
– Je sais bien, fit Mimi avec un accent qui semblait vouloir dire: je les ai oublies expres pour qu'il lui restat quelque souvenir de moi. Qu'en a-t-il fait? ajouta-t-elle.
– Je crois me rappeler, dit Marcel, qu'il a jete les lettres dans la cheminee et les gants par la fenetre; mais sans geste de theatre, sans pose, fort naturellement, comme on peut le faire lorsqu'on se debarrasse d'une chose inutile.
– Mon cher Monsieur Marcel, je vous assure qu'au fond de mon c?ur je souhaite que cette indifference dure. Mais encore une fois, la, bien sincerement, je ne crois pas a une guerison si rapide, et, malgre tout ce que vous me dites, je suis convaincue que mon pauvre poete a le c?ur brise.
– Cela se peut, repondit Marcel en quittant Mimi; mais cependant, ou je me trompe fort, les morceaux sont encore bons.
Pendant ce colloque sur la voie publique, M. le vicomte Paul attendait sa nouvelle maitresse, qui se trouva fort en retard, et qui fut parfaitement desagreable avec M. le vicomte. Il se coucha a ses genoux et lui roucoula sa romance favorite, a savoir: qu'elle etait charmante, pale comme la lune, douce comme un mouton; mais qu'il l'aimait surtout a cause des beautes de son ame.
– Ah! pensait Mimi en deroulant les ondes de ses cheveux bruns sur la neige de ses epaules, mon amant Rodolphe n'etait pas si exclusif.
II
Ainsi que Marcel l'avait annonce, Rodolphe paraissait etre radicalement gueri de son amour pour Mademoiselle Mimi, et trois ou quatre jours apres sa separation d'avec elle, on vit reparaitre le poete completement metamorphose. Il etait mis avec une elegance qui devait le rendre meconnaissable pour son miroir meme. Rien en lui, du reste, ne semblait faire craindre qu'il fut dans l'intention de se precipiter dans les abimes du neant, comme Mademoiselle Mimi en faisait courir le bruit avec toutes sortes d'hypocrisies condoleantes. Rodolphe etait en effet parfaitement calme; il ecoutait, sans que les plis de son visage se derangeassent, les recits qui lui etaient faits sur la nouvelle et somptueuse existence de sa maitresse, qui se plaisait a le faire renseigner sur son compte par une jeune femme qui etait restee sa confidente, et qui avait occasion de voir Rodolphe presque tous les soirs.
– Mimi est tres-heureuse avec le vicomte Paul, disait-on au poete, elle en parait follement amourachee ; une seule chose l'inquiete, elle craint que vous ne veniez troubler sa tranquillite par des poursuites qui, du reste, seraient dangereuses pour vous, car le vicomte adore sa maitresse et il a deux ans de salle d'armes.
– Oh! Oh! repondait Rodolphe, qu'elle dorme donc bien tranquille, je n'ai aucunement envie d'aller repandre du vinaigre dans les douceurs de sa lune de miel. Quant a son jeune amant, il peut parfaitement laisser sa dague au clou, comme Gastibelza , l'homme a la carabine. Je n'en veux aucunement aux jours d'un gentilhomme qui a encore le bonheur d'etre en nourrice chez les illusions.
Et comme on ne manquait pas de rapporter a Mimi l'attitude avec laquelle son ancien amant recevait tous ces details de son cote, elle n'oubliait pas de repondre en haussant les epaules:
– C'est bon, c'est bon, on verra dans quelques jours ce que tout cela deviendra.
Cependant, et plus que toute autre personne, Rodolphe etait lui-meme fort etonne de cette soudaine indifference, qui, sans passer par les transitions ordinaires de la tristesse et de la melancolie, succedait aux orageuses tempetes qui l'agitaient encore quelques jours auparavant. L'oubli, si lent a venir, surtout pour les desoles d'amour, l'oubli qu'ils appellent a grands cris, et qu'a grands cris ils repoussent quand ils le sentent approcher d'eux; cet impitoyable consolateur avait subitement, tout a coup, et sans qu'il eut pu s'en defendre, envahi le c?ur de Rodolphe, et le nom de la femme tant aimee pouvait desormais y tomber sans reveiller aucun echo. Chose etrange, Rodolphe, dont la memoire avait assez de puissance pour rappeler a son esprit les choses qui s'etaient accomplies aux jours les plus recules de son passe, et les etres qui avaient figure ou exerce une influence dans son existence la plus lointaine; Rodolphe, quelques efforts qu'il fit, ne pouvait pas se rappeler distinctement, apres quatre jours de separation, les traits de cette maitresse qui avait failli briser son existence entre ses mains si freles. Les yeux aux lueurs desquels il s'etait si souvent endormi, il n'en retrouvait plus la douceur. Cette voix meme, dont les coleres et dont les tendres caresses lui donnaient le delire, il ne s'en rappelait point les sons. Un poete de ses amis, qui ne l'avait pas vu depuis son divorce, le rencontra un soir; Rodolphe paraissait affaire et soucieux, il marchait a grands pas dans la rue, en faisant tournoyer sa canne.
– Tiens, dit le poete en lui tendant la main, vous voila! et il examina curieusement Rodolphe.
Voyant qu'il avait la mine allongee, il crut devoir prendre un ton condoleant.
– Allons, du courage, mon cher, je sais que cela est rude, mais enfin il aurait toujours fallu en venir la; vaut mieux que ce soit maintenant que plus tard; dans trois mois vous serez completement gueri.
– Qu'est-ce que vous me chantez? dit Rodolphe, je ne suis pas malade, mon cher.
– Eh! mon Dieu, dit l'autre, ne faites point le vaillant, parbleu! Je sais l'histoire, et je ne la saurais pas que je la lirais sur votre figure.
– Prenez garde, vous me faites un quiproquo, dit Rodolphe. Je suis tres-ennuye ce soir, c'est vrai; mais quant au motif de cet ennui, vous n'avez pas absolument mis le doigt dessus.
– Bon, pourquoi vous defendre? Cela est tout naturel; on ne rompt pas comme cela tranquillement une liaison qui dure depuis pres de deux ans.
– Ils me disent tous la meme chose, fit Rodolphe impatiente. Eh bien, sur l'honneur, vous vous trompez, vous et les autres. Je suis profondement triste, et j'en ai l'air, c'est possible; mais voici pourquoi: c'est que j'attendais aujourd'hui mon tailleur qui devait m'apporter un habit neuf, et il n'est point venu; voila, voila pourquoi je suis ennuye.
– Mauvais, mauvais, dit l'autre en riant.
– Point mauvais; bon, au contraire, tres-bon, excellent meme. Suivez mon raisonnement, et vous allez voir.
– Voyons, dit le poete, je vous ecoute; prouvez-moi un peu comment on peut raisonnablement avoir l'air si attriste, parce qu'un tailleur vous manque de parole. Allez, allez, je vous attends.
– Eh! dit Rodolphe, vous savez bien que les petites causes produisent les plus grands effets. Je devais, ce soir, faire une visite tres-importante, et je ne la puis faire a cause que je n'ai pas mon habit. Y etes-vous?