Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (электронная книга .txt) 📗
— Les loups ! souffla Catherine douloureusement. N'y a-t-il au monde que les loups qui aient le droit d'aimer ?
Les Ecossais de Kennedy et les quelques soldats de la garnison, ranges face a face le long de la pente qui menait du chateau au village, formaient une haie rigide. La brise legere agitait les plumes des bonnets, les plaids barioles des etrangers. Le soleil deja haut arrachait des eclairs aux cuirasses, aux armes. Et tout cela eut pu composer le decor d'une fete, mais les visages tendus etaient graves et, en bas, dans le clocher a peigne de granit gris, les cloches de Carlat sonnaient en glas.
En franchissant le seuil du chateau, a pied, soutenant d'un bras la mere d'Arnaud, Catherine se raidit. Pour ces ultimes instants ou elle pourrait le voir encore, elle voulait etre brave. Il fallait qu'il fut fier d'elle, celui qui, en quittant le monde, laissait a ses faibles epaules une charge si lourde. Courageusement, elle releva son petit menton, serra les dents pour qu'il ne tremblat pas. Isabelle, epuisee, a bout de forces, trebucha. Elle la retint d'une main ferme.
— Courage, ma mere, chuchota-t-elle... Il faut en avoir... pour lui !
La vieille dame fit un effort heroique, serra plus fort le bras de Catherine et se redressa. Les deux silhouettes noires s'avancerent dans le glorieux soleil du matin sous lequel fumaient les campagnes et chantaient les oiseaux, inconscients du drame qui se jouait.
Derriere les deux femmes, Kennedy, appuye sur sa grande epee, le vieux Cabanes etayant sur une lance ses mauvaises jambes, venaient, puis Gauthier et Sara. Tous ces visages etaient de pierre. Pas un son ne se faisait entendre. On eut pu entendre cogner les c?urs entre les lugubres battements de la cloche. Seul, Fortunat etait absent. Le pauvre garcon n'avait pu supporter l'idee d'assister a ce qui allait venir. Il s'etait enferme, pour y pleurer, dans une salle basse.
A mesure qu'elle approchait de l'eglise, Catherine distinguait la masse confuse des paysans. Ils se tenaient serres peureusement les uns contre les autres, a distance respectueuse de la sainte maison qui, pour cette heure, etait impure. Il faudrait, tout a l'heure, bruler de l'encens, repandre l'eau sainte pour laver le saint lieu de la presence du lepreux. Mais tous, les hommes comme les femmes, les enfants comme les vieillards, etaient a genoux dans la poussiere, tete basse, chantant a voix contenue les cantiques de la mort. Cela faisait un bourdonnement lugubre, le contrepoint de cette cloche funebre qui ne cessait pas.
— Mon Dieu ! murmura Isabelle. Mon Dieu, donnez-moi la force !
Sous le voile epais, semblable au sien, qui couvrait le visage de la pauvre mere, Catherine devina les larmes, lutta pour retenir les siennes. Elle hata le pas pour franchir les dernieres toises de la pente, contourna l'eglise, passa le vieux porche.
Elle n'avait pas eu un regard pour les paysans agenouilles. Avec leur terreur, ils lui repugnaient et soulevaient en meme temps sa colere. Elle ne voulait pas les voir et eux regardaient par en dessous cette femme, que l'on disait si belle, et qui semblait trainer, dans les plis de sa robe noire, toute la douleur du monde.
L'eglise n'etait pas grande, mais elle parut a Catherine un long tunnel au fond duquel brillaient des lumieres jaunes. Des chandelles brulaient a l'autel ou le vieux cure, sous la chasuble noire des funerailles, attendait debout, le dos tourne au tabernacle. Devant lui, au bas des marches, un homme vetu de noir etait agenouille. Le c?ur de Catherine manqua un battement, puis se mit a cogner comme un fou. Elle prit dans sa main les mains jointes d'Isabelle, les serra si fort que la vieille dame gemit. Lentement, elle la guida vers le banc des seigneurs, l'y fit asseoir, mais se redressa, s'obligeant a regarder l'homme a genoux.
Arnaud eut-il conscience du poids de ce regard accroche a lui ? Il se detourna legerement. Catherine, les levres tremblantes, entrevit son profil fier. Allait-il se retourner completement, la regarder ? Non... Il ramenait son regard vers l'autel. Sans doute refusait-il de laisser son courage s'amollir.
— Mon amour !... balbutia tout bas Catherine... Mon pauvre amour !
La voix cassee du pretre s'elevait maintenant, frele et pitoyable, tandis que le sacristain, un paysan bleme aux gestes maladroits, disposait deux cierges de chaque cote d'Arnaud.
— Requiem aeternam dona eis, Domine, et lux perpetua luceat eis...
Comme dans un songe affreux, Catherine suivit sans voir, ecouta sans entendre, se derouler cette messe de funerailles d'un mort vivant. Tout a l'heure, Arnaud de Montsalvy aurait cesse d'exister aussi surement que si la main du bourreau avait tranche sa tete. Il ne serait plus qu'un inconnu cloitre dans une ladrerie, un etre encore vivant mais sans nom, sans humanite, un peu de chair souffrante derriere des portes qui ne s'ouvriraient plus pour lui. Et elle... elle serait veuve ! Un mouvement de revolte s'empara d'elle. Elle eut envie de se ruer, tout a coup, au milieu de cette messe sacrilege, d'arracher cet homme qu'elle adorait a toutes ces mains peureuses comme, jadis, elle avait tente d'arracher Michel, son frere, a la populace parisienne. Oui, c'etait cela... courir a lui, prendre sa main, fuir ! Mais il n'y avait plus l'astuce joyeuse de Landry, ni le solide bon sens de Barnabe. Personne ne l'aiderait, personne ne comprendrait... Gauthier peut-etre ?... Mais le geant etait reste au-dehors de l'eglise ou il n'entrait jamais et ces paysans formaient une masse compacte. Jamais Arnaud et elle ne pourraient franchir ce mur vivants... D'ailleurs, accepterait-il de la suivre, lui qui avait mis tout son amour a la proteger de lui- meme ?
La conscience de sa faiblesse faillit abattre le courage de Catherine. Des larmes brulantes monterent a ses yeux. D'un geste enfantin, elle etendit une de ses mains devant elle, la regarda avec horreur, comme pour lui reprocher sa faiblesse.
Des mains qui n'avaient pas su retenir l'amour, qui n'avaient pas su deviner, sur le corps de l'homme aime, les symptomes du mal terrible, contracte sans doute dans l'infecte geole ou l'avait tenu La Tremoille.
La Tremoille ! L'epaisse silhouette du gros chambellan evoquee dans cette eglise perdue alluma en Catherine la soif de vengeance. Elle ne savait pas combien de temps elle resisterait a sa douleur d'amour, mais cet homme, qui etait cause de tous leurs malheurs, qui les avait poursuivis d'une haine implacable et stupide, celui-la, il faudrait qu'il paie, qu'il paie tres cher pour que Montsalvy puisse revivre, pour qu'un avenir ensoleille s'ouvrit devant Michel et pour qu'elle-meme put enfin mourir apaisee.
—- Je te jure, fit-elle entre ses dents serrees, je jure de te venger ! Devant Dieu qui m'entend, j'en fais le serment solennel !
La messe etait finie. Le pretre maintenant disait l'absoute. Les nuages de l'encens entouraient l'homme agenouille qui, deja, pour tous, avait cesse de vivre. Puis l'eau sainte tomba sur lui et la derniere benediction. Et, soudain, le c?ur de Catherine tressaillit de souffrance. La voix d'Arnaud s'elevait sous la voute noircie. Il chantait et c'etait le chant de sa propre mort.
— Aie pitie de moi, Seigneur, dans ta grande bonte ! En ta misericorde immense, efface mon forfait. Lave-moi, lave-moi encore de mon iniquite, purifie- moi de mon peche, car je connais ma faute, et mon peche, toujours, est devant moi !
Detourne ta face de mes fautes et que tressaillent les os que tu as brises...
Jamais encore elle ne l'avait entendu chanter. Sa voix, grave et profonde, avait une beaute poignante qui bouleversait l'ame. C'etait l'adieu desespere a la vie d'un homme qui l'aimait passionnement... Les oreilles de Catherine s'emplirent d'un bourdonnement d'orage. Une nausee lui monta aux levres. Elle sentit qu'elle allait s'evanouir et se cramponna au banc de bois grossier, si mal equarri qu'une echarde penetra dans son doigt. La douleur la ranima... Aupres d'elle, la mere sanglotait sans retenue, ecroulee des deux genoux a meme la pierre du sol.