Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта (книги хорошем качестве бесплатно без регистрации .txt) 📗
— Mais je vous crois, sire menestrel, je vous crois, fit Catherine avec lassitude. Vous ne pouviez rien faire, je l'ai bien compris... Mais pardonnez-moi si, devant vous, je me laisse aller a la douleur. Voyez-vous, Gauthier etait mon serviteur, mais sa vie m'etait plus precieuse que celle du plus intime ami, et la pensee qu'il n'est plus...
L'emotion lui coupa la parole. Les larmes embuaient ses yeux et sa gorge serree ne pouvait plus articuler un mot. Quittant precipitamment la salle, elle courut jusqu'a sa chambre et, se laissant tomber sur son lit, se mit a sangloter. Cette fois, tout etait fini, et bien fini. Elle avait tout perdu car, avec la mort de Gauthier, s'envolait aussi l'espoir de retrouver Arnaud. Gueri ou non, son epoux ignorait toujours qu'elle lui demeurait fidele et que son amour pour lui etait plus profond que jamais. Il avait maintenant disparu pour elle aussi completement que si la dalle du tombeau etait tombee sur lui. Pour Catherine, c'etait le dernier coup...
Elle pleura longtemps sans s'apercevoir que Sara l'avait rejointe et qu'elle se tenait debout devant elle, muette et impuissante, cette fois, a consoler cette immense douleur. Au bout de longues minutes, enfin, Sara risqua :
— Peut-etre le menestrel a-t-il mal vu ?... Peut-etre que Gauthier n'est pas mort ?
— Comment aurait-il pu echapper a la mort ? fit la jeune femme avec un hoquet nerveux. Et s'il n'etait pas encore mort il a du expirer peu apres...
Le silence tomba entre les deux femmes. Au loin, dans la grande salle, on entendait les accords legers de la viole qui jouait pour les quelques serviteurs, pour Donatienne et Saturnin et aussi pour certains notables de Montsalvy qui avaient demande la faveur d'entendre le chanteur errant, plaisir qu'ils n'avaient pas goute depuis bien longtemps... La voix souple et bien timbree du Florentin parvint jusqu'a la cellule silencieuse ou les deux femmes demeuraient face a face sans rien trouver a se dire. Guido chantait un antique virelai des amours du chevalier Tristan et de la reine Yseut.
« Iseut ma dame, Iseut ma mie En vous ma mort, en vous ma vie... »
Catherine etouffa un sanglot. Par-dela le chant plaintif du menestrel, il lui semblait entendre encore la voix chaude et passionnee d'Arnaud qui chuchotait a son oreille : « Catherine...
Catherine, ma mie. » Et le regret qui la transperca fut si poignant qu'il lui fallut serrer les dents pour retenir le cri de douleur qui montait. Si, de sa vie terrestre, elle ne devait plus le revoir, lui, son amour, alors mieux valait quitter ce monde immediatement que trainer une eternite de souffrance... Elle ferma les yeux un instant, noua ses doigts bien serres pour reprendre le plein controle d'elle-meme et, quand elle rouvrit les yeux, ce fut pour diriger vers Sara un regard plein de determination.
— Sara, dit-elle d'une voix si calme que la bohemienne tressaillit, je vais partir. Puisque Gauthier est mort, c'est moi qui dois me mettre en quete de mon epoux.
— Te mettre en quete ? Mais ou ?
La ou je sais, avec certitude, qu'il s'est rendu : a Compostelle de Galice. Il n'est pas possible que je n'apprenne pas la ce qu'il est devenu. Et, chemin faisant, j'essaierai de retrouver le corps du pauvre Gauthier pour qu'au moins il repose en un lieu convenable. La pensee qu'a cette heure et depuis si longtemps il est la proie des oiseaux de mort m'est intolerable.
— Mais le chemin est long, dangereux... Comment feras-tu, pauvrette ? Comment reussiras-tu la ou Gauthier a echoue?
— Le Saint Jour de Paques n'est plus tres eloigne.
Traditionnellement, ce jour-la, un groupe de pelerins part du Puy-en-Velay pour se rendre au tombeau de saint Jacques. Je partirai avec eux. Ainsi, le danger sera moindre et je ne serai pas seule.
— Et moi ? protesta Sara aussitot revoltee. Est-ce que je ne vais pas avec toi ?
Catherine secoua negativement la tete. Elle se leva, posa ses deux mains sur les epaules de sa vieille amie et la regarda tendrement.
— Non, Sara... Cette fois, je partirai seule... Pour la premiere fois, la premiere vraie fois, car notre brouille de Chinon ne comptait pas, je vais m'en aller sans toi. Mais c'est parce qu'il faut que tu veilles sur ce que j'ai de plus precieux au monde... sur mon petit Michel. Si tu partais, qui donc s'occuperait de lui ? Donatienne est trop vieille et Saturnin n'est pas plus jeune. Ils te seront d'un grand secours, mais c'est a toi que je confie mon fils. Tu es tellement moi-meme, Sara, qu'avec toi je sais qu'il sera aussi heureux, aussi bien soigne que si j'etais la. Tu seras a la fois ma pensee, mes mains, mes levres. Tu lui parleras de moi, de son pere. Et si Dieu voulait que je ne revienne pas...
— Tais-toi ! cria Sara. Je t'interdis de dire de pareilles choses. Cela me fait si mal.
A son tour elle avait les larmes aux yeux. Catherine, emue de son chagrin, l'embrassa chaleureusement.
Preparer l'avenir n'a jamais fait mourir personne, ma bonne Sara. Si je ne revenais pas, tu enverrais des messagers a Xaintrailles et a Bernard d'Armagnac, afin qu'ils prennent en tutelle le dernier des Montsalvy, qu'ils se chargent de son avenir. Mais, ajouta-t-elle avec un beau sourire courageux, j'espere bien revenir.
Rageusement, Sara essuya ses yeux, puis, detachant les bras de Catherine, s'eloigna de quelques pas.
— C'est bon, maugrea-t-elle. Admettons, je reste et tu pars. Mais comment feras-tu pour quitter Montsalvy ? Crois-tu que l'abbe te laissera partir plus facilement maintenant qu'en septembre ?
— Il ne le saura pas. Depuis longtemps, j'ai fait v?u d'aller au Puy offrir a Notre-Dame le diamant maudit que j'ai toujours en ma possession. Il faut que je m'en separe... il le faut a tout prix, et le plus tot sera le mieux. Vois comme le malheur s'acharne sur moi. Gauthier, mon emissaire, mon seul espoir, Gauthier l'indestructible est tombe sur le chemin. Ma cause sera mauvaise tant que je le possederai.
L'abbe sait combien je desire accomplir ce v?u. Il me laissera partir.
Les fetes de Paques sont une bonne epoque pour celebrer Notre-Dame. Il trouvera mon desir tout naturel.
— Tu as reponse a tout, fit Sara avec un peu d'amertume. Et j'ai peine a croire que ce plan te soit venu d'un seul coup, depuis que ce maudit menestrel est arrive...
— Non, avoua Catherine. Il y a longtemps que j'y pense. Mais toi, acceptes-tu ce que je te demande ?
Sara haussa les epaules et alla ouvrir le lit dans lequel, tout a l'heure, elle passerait la bassinoire pleine de braises pour rechauffer les draps.
— En voila une question ! Ce serait la premiere fois que je te refuserais quelque chose. Et puisqu'il n'y a vraiment pas moyen de faire autrement... Dieu sait ce qu'il m'en coute, pourtant !
Comme Sara ouvrait la porte pour gagner la cuisine avec sa bassinoire, la voix de Guido Cigala envahit la petite chambre. Il chantait maintenant une antique chanson du troubadour Arnaud Daniel et les paroles du vieux lai frapperent tellement les deux femmes qu'elles demeurerent un moment immobiles, se regardant sans parler.
« L'or se vendra a aussi vil prix que le fer Avant qu'Arnaud desaime celle a qui il a voue son
[c?ur... »
Catherine d'un seul coup eut l'air frappee par la foudre. Elle avait pali jusqu'aux levres, mais, dans ses yeux sombres, des etoiles s'allumaient, les brillantes etoiles de l'espoir. La voix du menestrel, mysterieusement, repondait aux questions qu'elle n'osait plus se poser.
Sara serra farouchement son ustensile contre son c?ur.
- Je voudrais bien savoir qui nous envoie ce damne chanteur. Le Diable ? Ou le bon Dieu ? En tout cas, il a une voix qui ressemble singulierement a celle du destin.
Catherine avait devine juste en pensant que l'abbe de Montsalvy ne l'empecherait pas de se rendre au Puy- en-Velay pour les fetes de Paques. Il se borna seulement a lui offrir comme escorte le Frere Eusebe, le portier du couvent, car il n'etait pas convenable qu'une noble dame courut les chemins seule. La compagnie d'un moine eloignerait d'elle les dangers, tant terrestres que spirituels.