Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта (книги хорошем качестве бесплатно без регистрации .txt) 📗
— Le Frere Eusebe est un homme doux et de m?urs pacifiques, dit l'abbe, mais il n'en sera pas moins pour vous une efficace protection.
A vrai dire, la compagnie du digne portier n'enchantait pas Catherine. Sa figure ronde et rose lui paraissait trop candide et elle avait appris a se mefier de tout. Elle se demandait si l'abbe Bernard, en le lui donnant comme garde du corps, ne lui donnait pas aussi une sorte d'espion qui allait poser un nouveau probleme : comment, une fois au Puy, se debarrasserait-elle du saint homme et le convaincrait-elle de rentrer sans elle, a Montsalvy ?
Mais les difficultes de sa vie passee avaient appris a la jeune femme qu'a chaque jour suffit sa peine et que rien ne sert de se tourmenter a l'avance. Sur place, elle trouverait bien un moyen de fausser compagnie a son ange gardien. Et elle ne songea plus qu'a ce grand voyage dans lequel, avec infiniment plus d'amour que d'espoir, elle allait s'engager.
Le temps de Careme fit eclater la croute blanche dont se couvrait le pays. La neige et le verglas fondirent en une multitude de minces ruisseaux qui se mirent a courir dans tous les sens, striant le haut plateau et les ravins montagneux comme une chevelure de fils argentes. La terre reapparut par plaques noires d'abord puis par grandes etendues qui, timidement, se mirent a reverdir. Un peu de bleu effilocha les eternels deserts gris du ciel et Catherine pensa que le temps etait venu de se mettre en route.
Le mercredi qui suivit le dimanche de la Passion, Catherine et Frere Eusebe quitterent Montsalvy, tous deux montes sur des mules que leur avait pretees l'abbe. Le temps etait doux, legerement pluvieux, et les nuages couraient, rapides, pousses par le vent qui venait du sud. Le vent qui, d'apres Saturnin, « donnait le tournis aux moutons... ».
Les adieux entre Catherine et Sara avaient ete rapides. L'une comme l'autre, d'un commun accord, refusaient l'attendrissement qui abat le courage et liquefie la volonte. D'ailleurs, des adieux dechirants eussent tout juste servi a donner l'eveil a l'abbe Bernard. On ne pleure pas pour une separation de quinze jours...
Le plus cruel fut l'arrachement d'avec Michel. Les yeux lourds de larmes retenues, Catherine ne pouvait se lasser d'embrasser son petit garcon. Elle avait l'impression que ses bras, jamais, ne pourraient s'ouvrir pour le laisser aller. Il fallut que Sara le lui enlevat et l'emmenat pour le confier a Donatienne. Gagne par l'emotion de sa mere, l'enfant, sans meme savoir pourquoi, allait se mettre a pleurer.
— Quand le reverrai-je ? murmura Catherine qui, d'un seul coup se sentait affreusement miserable.
Il s'en fallait de peu, tant son chagrin etait grand, qu'elle renoncat a cette folle expedition.
— Quand tu voudras, fit Sara calmement. Nul ne t'empechera de revenir si tu ne parviens pas a ton but. Et, je t'en supplie, Catherine, ne tente pas Dieu ! Ne va pas au-dela de tes forces. Il est des cas ou il vaut mieux accepter son destin, meme s'il est cruel. Songe que, meme si je suis la, rien ne peut remplacer une mere... Si les obstacles sont trop grands, reviens, je t'en conjure... Et, pour l'amour de Dieu...
— Pour l'amour de Dieu, coupa Catherine souriant a travers ses larmes, n'en dis pas davantage. Sinon, dans cinq minutes, je n'aurai plus le moindre courage.
Mais, quand les portes de l'abbaye s'ouvrirent devant les sabots de sa mule, Catherine eprouva une extraordinaire impression de liberte, une sorte de griserie. Elle n'avait pas peur de ce qui l'attendait dans les jours a venir. Il fallait que sa volonte triomphat de toutes les embuches. Elle se sentait plus forte, plus jeune et plus vaillante que jamais...
Contre sa gorge, dans un petit sac de peau suspendu a son cou par un ruban, elle emportait le diamant noir. II avait perdu a ses yeux toute valeur, hormis une seule : celle de clef des champs. L'offrir a la Vierge du Puy, c'etait ouvrir d'un meme coup le long chemin qui, peut- etre, la menerait a son epoux.
Quand elle eut laisse derriere elle les murs de Montsalvy, Catherine remonta sur ses epaules le grand manteau qui glissait, retrouvant le geste antique du colporteur qui remonte la lourde charge. Puis, redressant la tete, elle refusa de se laisser distraire par l'appel des cloches qui, de loin, l'accompagnaient.
Les yeux fixes droit devant elle, dans l'herbe encore rase du chemin, elle poursuivit sa route, sans faiblesse et sans larmes.
Le Puy-en-Velay ! Une ville coulait comme un fleuve du porche gigantesque et multicolore d'une immense eglise romane couronnee de coupoles et de tours. Lorsque Catherine et Frere Eusebe y arriverent, ils s'arreterent un moment pour contempler l'incroyable spectacle qu'elle offrait. Les yeux emerveilles de la jeune femme allaient de la colline sainte, l'antique mont Anis qui se detachait sur les lointains bleus du pays vellave, a l'enorme rocher qui lui tenait compagnie et, plus loin, a l'etrange pic volcanique de Saint-Michel-d'Aiguilhe dresse, comme un doigt, vers le ciel et lui tendant fierement sa petite chapelle. Tout, dans cette ville etrange, semblait fait pour le service de Dieu, tout venait de lui et retournait a lui... Mais, a mesure que, les portes franchies, l'on avancait dans la cite, l'extreme bariolage des rues et leur agitation frapperent les voyageurs. Partout ce n'etaient que bannieres, oriflammes, tapisseries tendues, pieces de soie glissant des fenetres... Partout s'etalaient les armes royales de France et, avec une certaine stupeur, Catherine vit soudain passer devant elle un groupe bruyant d'archers ecossais, trainant leurs armes.
— La ville est en fete, declara Frere Eusebe qui ne disait pas dix paroles dans une journee. Il faut savoir pourquoi.
Catherine, en sa compagnie, avait cultive le silence. Elle ne jugea pas utile de repondre, mais hela un gamin qui passant en courant, une cruche a la main, s'en allait visiblement tirer de l'eau a une fontaine proche.
— Pourquoi ces bannieres, ces tentures, tout ce monde ?
Le gamin leva vers la jeune femme une figure criblee de taches de rousseur ou deux yeux clairs brillaient joyeusement, mais il ota, avec politesse, le bonnet vert effrange qui lui couvrait la tete.
— C'est que notre sire, le Roi, est entre avant-hier dans la ville avec Madame la Reine et toute la cour, pour venir prier Notre-Dame et celebrer Paques avant de s'en aller a Vienne ou se reunissent les Etats... Si vous cherchez a vous loger vous aurez du mal. Toutes les auberges sont pleines car, en outre, on dit que Monseigneur le Connetable doit arriver aujourd'hui.
— Le Roi et le Connetable ? s'etonna Catherine. Mais ils sont brouilles.
— Justement. Notre Sire a choisi la cathedrale pour l'y recevoir de nouveau dans sa grace. Ils feront ensemble la veillee de Paques, cette nuit.
— Est-ce que des pelerins ne se reunissent pas ici, qui partiront bientot pour Compostelle ?
— Si, gracieuse dame. L'Hotel-Dieu, pres de la cathedrale, en est plein. Il vous faut presser si vous desirez vous joindre a eux.
L'enfant indiqua encore a Catherine le chemin de l'Hotel-Dieu. Il etait simple : il suffisait de suivre cette longue, longue rue qui de la tour Panessac, pres de laquelle ils se trouvaient, montait vers Notre-Dame et s'achevait en escaliers. Des escaliers qui, eux-memes, s'engouffraient sous le porche. Avant de quitter son interlocutrice, le jeune garcon ajouta :
— Tous les pelerins se fournissent chez maitre Croisat, pres de l'Hotel-Dieu. C'est chez lui qu'on trouve les vetements les plus solides pour le grand voyage et... Je te remercie, coupa Catherine en voyant l'?il de Frere Eusebe, habituellement denue de toute expression, s'attacher a elle avec curiosite. Nous allons chercher un logis.
— Dieu vous aide a le trouver ! Mais vous n'avez guere de chance.
Le palais de l'eveque lui-meme, Monseigneur Guillaume de Chalencon, est plein a craquer. Le Roi y tient sa cour.