Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта (книги бесплатно .txt) 📗
Mais Catherine n'ecoutait pas. Ecartant les herbes et les feuilles, elle venait de decouvrir le corps d'un homme inerte, couche a plat ventre au milieu des ronces, ne donnant pas signe de vie. Rencontrer sur son chemin un corps humain n'etait pas une chose rare dans ces temps troubles, mais le cote insolite de celui-ci residait dans le fait qu'il s'agissait, non d'un quelconque vilain, mais bel et bien d'un chevalier. L'armure d'acier noir, ruisselante d'eau, qui le couvrait entierement et l'epervier du casque l'affirmaient. L'homme avait du se trainer hors de la riviere. Une trace grasse laissee sur le bord et la position crispee de ses mains nues accrochees encore a une ronce solide qui les avait dechirees en faisaient foi.
Catherine decontenancee, n'osant y toucher, regardait sans comprendre le grand corps etendu a ses pieds. Comment ce chevalier avait-il pu trouver la mort alors qu'aucun indice de lutte ne se voyait et qu'il n'y avait pas trace, non plus, du passage d'un cheval ? L'armure couvrait si bien le gisant que ses mains saignantes seules se voyaient.
Elles attirerent le regard de la jeune fille. C'etait de tres belles mains, a la fois longues et fortes, dont la peau brune semblait fine. Ce qui frappa Catherine, c'est que le sang coulait encore. Pensant que l'homme n'etait peut-etre pas mort, Catherine s'accroupit aupres de lui, voulut le retourner, mais il etait bien trop lourd pour elle.
Se souvenant de ceux qui l'accompagnaient, la jeune fille voulut appeler, mais Mathieu, las de s'epoumoner, etait descendu de sa mule et venait aux nouvelles.
— Par Notre-Dame-la-Noire, qu'est-ce que cela ? s'ecria-t-il ebahi devant le spectacle qui s'offrait a sa vue.
— Un chevalier, vous le voyez. Aidez-moi a le retourner, je crois qu'il n'est pas mort...
Comme pour lui donner raison, l'homme en armure poussa un faible gemissement. Elle jeta un cri.
— Il vit ! Hola Pierre ! Petitjean et Amiel, venez ici !...
Les trois valets accoururent. A eux trois, ils eurent tot fait d'enlever le chevalier blesse malgre sa taille et le poids considerable qu'il pesait avec sa carapace de fer. Un instant plus tard, l'homme etait etendu sur le bord de la route, dans l'herbe douce et, tandis que Pierre allait querir dans les bagages la boite a onguents de Catherine, Amiel battait le briquet pour allumer une torche car maintenant la nuit etait presque close et l'on n'y voyait a peu pres rien.
La pluie ne tombait pas en abondance mais suffisamment tout de meme pour que le valet eut bien du mal a faire flamber sa torche. Le vent se levait, de surcroit, et compliquait l'operation. Enfin la flamme jaillit, tirant des reflets rouges de l'armure mouillee. Ainsi, etendu dans l'herbe avec la seule tache claire de ses mains nues, le sombre chevalier avait l'air de quelque gisant taille dans le basalte. L'oncle Mathieu, au mepris de ses douleurs, s'etait assis sur le sol mouille et, prenant la tete casquee sur ses genoux, se mettait en devoir de lever la ventaille du heaume. Ce n'etait pas facile parce qu'elle avait subi des chocs et s'etait faussee. Penchee vers lui, Catherine s'impatientait d'autant plus que le blesse gemissait presque sans arret.
— Faites vite ! souffla-t-elle. Il doit etouffer dans cette cage de fer
! — Je fais ce que je peux. Ce n'est pas si facile...
La visiere en effet se defendait vigoureusement et Mathieu transpirait. Voyant cela, le vieux Pierre tira son couteau et avec mille precautions en introduisit la pointe dans le rivet de la jointure, en prenant bien garde de ne pas blesser le visage au-dessous.
Il pesa sur le manche, le rivet ceda, la visiere s'ouvrit.
— Apporte ta torche, ordonna Catherine.
Mais a peine la lumiere tremblante eut-elle touche le visage aux yeux clos qu'avec un cri Catherine se rejetait en arriere. La boite d'onguents s'echappa de ses mains.
— Ce n'est pas possible, balbutia-t-elle, bleme soudain jusqu'aux levres... Pas possible !
— Qu'est-ce qui te prend ? fit Mathieu stupefait. Tu connais ce jeune homme ?
Catherine leva vers son oncle un regard de noyee. L'emotion qui serrait sa gorge etait si forte qu'elle lui otait presque l'usage de la parole.
— Oui !... Non !... Je ne sais pas !
— Tu deviens folle ? Qu'est-ce que c'est encore que ce mystere ? Il vaudrait mieux enlever tout a fait ce casque au lieu de t'evanouir a demi. Il y a du sang qui coule.
— Je ne peux pas... pas tout de suite ! Aide mon oncle, Pierre !
Le vieux serviteur, dont les yeux inquiets allaient alternativement du blesse a la jeune fille, s'empressa. Catherine s'assit sur le talus tout pres de lui, serrant l'une contre l'autre ses mains tremblantes. Les yeux agrandis, elle regardait avidement son oncle et Pierre qui tentaient de degager completement cette tete, ce visage qui etait le visage meme de Michel de Montsalvy...
Frissonnante, serrant autour d'elle la bure deja alourdie d'eau, la jeune fille voyait s'evanouir devant elle les annees ecoulees. Les scenes qui, a Paris, l'avaient mise a deux doigts de la mort, se redessinerent devant elle avec une effrayante nettete. Michel se debattant aux mains des bouchers sous les lambris dores de l'hotel d'Aquitaine ; Michel, les poings lies au dos, suivant fierement sa voie douloureuse au milieu des archers et de la foule hurlante, Michel etendu dans l'ombre de la cave du Pont-au-Change evoquant doucement pour une fillette attentive sa province natale... Il avait ferme les yeux, a un moment, comme pour mieux se souvenir et le visage de l'autre, tel qu'il etait apparu dans le cadre noir du casque, etait etrangement semblable a celui de Michel a cet instant precis... De toutes ses forces, Catherine repoussa les abominables images des minutes suivantes, celle surtout du beau visage tumefie, ecrase, souille de sang et de poussiere. La ressemblance avec le chevalier etait hallucinante. La jeune fille se pencha en avant pour mieux voir, pour se convaincre aussi qu'elle ne revait pas. Mais non, le visage etait bien la, pale et immobile, les paupieres bistrees, ourlees de cils epais recouvrant exactement le globe inconnu des yeux. Un mince filet de sang barrait le front, descendait le long de la joue et atteignait la commissure des levres serrees. Une expression de souffrance crispait les traits par instants.
— Michel, murmura Catherine malgre elle... Ce n'est pas vous, ce ne peut pas etre vous ?
Non, ce n'etait pas lui. Mais si exacte etait la ressemblance qu'elle n'en fut vraiment certaine que lorsque enfin Mathieu et Pierre eurent ote le casque. Au lieu des cheveux dores dont Catherine avait garde le souvenir ebloui, apparut une calotte de cheveux noirs comme la nuit elle-meme, epais, drus et en desordre. La jeune fille en fut presque soulagee, encore que cette chevelure si differente n'otat rien, chose etrange, a la ressemblance. Si ce n'est, peut- etre, que cette figure etait plus belle encore que celle de Michel, plus dure aussi.
— On ne peut pas le laisser la ! Nous sommes deja tout trempes et notre demoiselle n'est pas bien non plus, fit Pierre apres avoir constate que Catherine claquait des dents sans meme s'en rendre compte. On va l'emporter a nous quatre jusqu'a l'auberge.
— Avec ce poids de ferraille, il est beaucoup trop lourd, repondit Mathieu.
Mais les quatre hommes eurent tot fait de depouiller le blesse de sa carapace d'acier. On l'enveloppa dans des manteaux et, avec des batons et des cordes, on confectionna un brancard sur lequel le jeune homme fut etendu. Catherine un peu revenue de son emotion, avait etanche le sang suintant d'une blessure au cuir chevelu et pose dessus un tampon qu'elle avait serre avec une echarpe.
Pendant toutes ces manipulations, le blesse n'avait pas ouvert les yeux, mais une plainte plus forte lui avait echappe quand on l'avait depouille de son armure et une autre quand on l'avait transporte sur la civiere improvisee.