Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта (книги бесплатно .txt) 📗
La voix de Landry lui parvint, etouffee.
— C'est toi Catherine ? Grouille... Il faut faire vite !
— Oui, je viens !
L'ombre etait si epaisse qu'elle devinait plus qu'elle ne voyait les deux silhouettes, l'une longue et l'autre plus petite. La ruelle serpentait, semblait s'enfoncer dans les entrailles de la terre. Des formes fantastiques de maisons a demi ecroulees se dessinaient de chaque cote comme des ombres malefiques. Il n'y avait aucune lumiere dans ces arteres bizarres et inconnues. Les portes branlantes etaient closes, les fenetres, aux volets arraches, aveugles. Catherine etait si lasse que son c?ur lui faisait mal. Mais, dans le lointain encore proche, les glapissements de la foule qui avait enfin decouvert la fuite du condamne se faisaient entendre, donnant des ailes aux trois fuyards.
Dans l'obscurite, Catherine trebucha sur un pave, s'etala de tout son long avec un gemissement de souffrance. Des larmes au bord des yeux, elle fut aussitot relevee par la main vigoureuse de Landry, entrainee i» nouveau dans la course folle.
Les ruelles se succedaient, s'enchevetraient, coupees d'escaliers noirs qui s'ouvraient, raides et visqueux sur des profondeurs louches, formant une sorte de labyrinthe dont il paraissait impossible de sortir.
Toujours trainee par Landry, haletante et terrifiee, Catherine grimpa encore trois marches, suivit une ruelle coudee a angle droit qui, soudain, s'elargit, deboucha sur une place fangeuse et puante, cernee de masures informes qui paraissaient s'affaisser les unes sur les autres.
Les toits pointus se crevassaient, montraient des vides comme d'enormes dents ebrechees, les murs faits de pierres mal equarries jointoyees de boue se gonflaient comme des abces sous le poids des charpentes enflees d'eau. Quelques gouttes se mirent a tomber.
— S'il pleut, ca ne peut que nous arranger, dit Landry en s'arretant et en faisant signe aux autres d'en faire autant.
A bout de souffle, haletants, ils s'appuyerent contre une maison pour reprendre haleine, ils avaient tant couru que leur poitrine leur semblait sur le point d'eclater. Il regnait dans cet etrange quartier un profond silence dont, soudainement, -ils prirent conscience. Impressionnee Catherine chuchota :
— On n'entend plus rien. Tu crois qu'ils ne nous courent plus apres
? — Si. Mais la nuit est close et ils ne viendront pas ici. Pour le moment on ne craint rien.
— Pourquoi ? Ou sommes-nous ?
Les yeux de la jeune fille s'etaient accoutumes a l'obscurite. Elle distinguait a peu pres les immondes masures, plus que lepreuses, qui composaient le decor. De l'autre cote de la place, un lumignon brillait faiblement dans une cage de fer aux fleches tordues, ses flammes couchees a demi par le vent acide. Au ciel noir, des nuages fumeux se poursuivaient, fuyante couverture de cette ile du silence autour de quoi grondait la ville. Landry, d'un grand geste, embrassa la place.
— Ici, dit-il, c'est la Grande Cour des Miracles. Il y en a plusieurs dans Paris, dont une entre la porte Saint-Antoine et le Palais des Tournelles. Mais celle- ci est la plus importante, le fief personnel du roi de Thune.
— Mais, fit Catherine mi-surprise mi-effrayee, il n'y a personne.
— Il est trop tot. Les truands ne regagnent leurs tanieres que lorsque tout le monde est rentre chez soi... et encore.
Tout en parlant, Landry s'activait a trancher les liens de Michel. Le jeune homme, inerte, se laissait aller, adosse au mur, respirant avec peine. Il avait fourni un violent effort car il n'est pas facile de courir avec les mains liees dans le dos. Quand le couteau de Landry le libera, il poussa un profond soupir et frotta ses poignets douloureux.
— Pourquoi avez-vous fait cela ? demanda-t-il d'une voix lasse.
Pourquoi m'avez-vous sauve ? Et qui etes-vous donc pour prendre un tel risque ? Ne savez- vous pas que vous risquez la corde ?
— Oh, fit Landry desinvolte, on a fait ca comme ca... parce qu'on a trouve que vous etiez trop jeune pour faire un pendu, messire. Moi je me nomme Landry Pigasse. Elle c'est Catherine Legoix. On habite tous les deux le Pont-au-Change ou nos peres font metier d'orfevrerie.
La main de Michel chercha la tete de l'adolescente et s'y posa doucement.
— La petite fille aux cheveux d'or !... Je l'avais remarquee tout a l'heure pendant qu'ils me liaient.
Jamais encore je n'ai vu des cheveux comme les tiens, petite, murmura-t-il d'un ton qui bouleversa Catherine plus encore que le contact de sa main.
Tandis que celle-ci caressait doucement la soie emmelee de la tignasse, elle s'ecria :
— Nous voulons vous sauver. Nous vous ferons quitter Paris, cette nuit meme. Landry vous l'a dit, nous habitons le pont. On vous cachera dans la petite piece qui est sous la maison de mon pere et qui sert de cave. Il y a une lucarne. De la, vous pourrez descendre au moyen d'une corde, jusque dans le bateau que Landry amenera a la minuit. Et vous n'aurez plus qu'a remonter le fleuve jusqu'a Corbeil ou est Monseigneur d'Armagnac...
Elle avait jete tout cela d'un trait, sans reprendre haleine, toute au desir de voir le jeune homme leur faire confiance. Il y avait, dans sa voix a lui, quelque chose de desespere qui lui faisait peur. Elle sentait obscurement que, frole de si pres par l'aile noire de la mort, il n'etait pas encore completement degage de l'ombre malefique. Et puis ce sauvetage, a premiere vue, etait tellement insense !
Dans l'ombre elle vit briller les dents blanches du jeune noble, comprit qu'il souriait.
— C'est bien imagine et j'ai peut-etre la une vraie chance. Mais avez-vous songe un instant au danger que vous faites courir a vos familles et a vous-meme, si jamais votre plan est decouvert ?
— Quand on reflechit trop, grogna Landry, on ne fait jamais rien.
Maintenant, c'est decide et on ira jusqu'au bout.
— Sage parole ! fit une voix moqueuse qui paraissait venir du ciel, encore faut-il s'arranger pour mettre toutes les chances de son cote.
Allons, n'ayez pas peur, je ne vous veux aucun mal.
La figure qui venait d'apparaitre au-dessus de la tete des trois jeunes gens, encadree dans une lucarne drapee de toiles d'araignee, n'avait cependant rien de rassurant. Une chandelle de suif eclairait un long visage basane, plisse de rides en etoiles dont les principaux ornements etaient un nez immense, ponctue d'une grosse" verrue, et deux petits yeux extremement vifs sous des sourcils en accent circonflexe. De longues meches noires, depassant un capuchon crasseux completaient le portrait du personnage qui avait assez l'air, ainsi eclaire, d'une des gargouilles de Notre-Dame. Mais, si cette face etait inquietante, elle n'etait pas autrement antipathique parce qu'un large sourire la fendait en deux, montrant des dents de carnassier d'une blancheur inattendue.
Landry poussa une exclamation de surprise.
— Comment Barnabe, c'est toi ? Tu es deja rentre ?...
— Comme tu vois, mon fils. J'avais la gorge un peu prise aujourd'hui, cela nuisait a la beaute de ma complainte. J'ai prefere garder la chambre. Mais, une minute, je descends...
Le lumignon qui, durant les dernieres paroles s'etait aimablement agite, disparut. Il y eut un grincement d'huis mal graisse que l'on referme.
— Tu le connais ? fit Catherine avec stupefaction.
— Bien sur ! Toi aussi d'ailleurs ! C'est Barnabe le Coquillart. Tu sais bien, ce bonhomme au vieux manteau cousu de coquillages qui mendie tous les jours sous le porche de Sainte-Opportune ? Il se pretend pelerin revenant de Compostelle et vend des reliques, a l'occasion.
Catherine voyait maintenant a qui l'on avait affaire. Elle connaissait bien le bonhomme. Il lui souriait toujours quand elle se rendait a vepres ou a complies a Sainte-Opportune avec Loyse, ou encore quand elles portaient du pain a Agnes-la-Recluse avec qui le Coquillart bavardait souvent. Pendant ce temps Barnabe etait sorti de sa maison dont il refermait la porte