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Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (электронная книга .txt) 📗

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Une derniere fois, il embrassait sa femme, puis, la quittant, se dirigeait vers son cheval que tenait Fortunat. Une impulsion jeta Catherine sur ses pas : elle voulait le suivre. Mais elle se retint : il ne le lui permettrait pas. Il fallait les laisser partir, puis les rejoindre, a distance.

De la maison etaient sorties Sara, portant Michel qui gazouillait, Isabelle de Montsalvy et Donatienne qui s'essuyait les yeux au coin de son tablier. Marie avait disparu comme par enchantement. D'un mouvement instinctif, Catherine avait pris son fils dans ses bras. Il etait d'excellente humeur, ce matin, et souriait a sa mere dont le c?ur fondit de tendresse. Le contraste etait trop cruel entre ce bebe joyeux et ces hommes, mal armes, si peu nombreux, qui s'en allaient affronter une troupe de forbans aguerris, rompus a toutes les ruses, a tous les ravages... Ses yeux se brouillerent de larmes et elle ne vit pas qu'Isabelle l'observait.

Mais, quand Arnaud et ses hommes eurent disparu sous le couvert des sapins, Catherine, se tournant brusquement vers sa belle-mere, lui tendit l'enfant.

— Prenez Michel, dit-elle calmement. Moi, je vais voir.

— Vous etes folle ? La place d'une femme n'est pas avec les hommes. Savez-vous ce que vous risquez ?

La jeune femme eut un triste sourire qui n'atteignit pas ses yeux.

— Je sais surtout ce que risque Arnaud et c'est la tout ce qui importe pour moi.

— Votre fils ne vous retient pas ? fit Isabelle, un pli de dedain au coin des levres. Une bonne mere ne doit jamais quitter son enfant.

— Peut-etre suis-je meilleure epouse que mere. Au surplus, Madame, il vous a pour veiller sur lui en mon absence, vous etes sa grand-mere. Enfin... s'il m'arrivait malheur, je crois que cela simplifierait bien des choses, n'est-ce pas ?

Et, sans attendre la reponse d'Isabelle qui, medusee, la regardait avec stupeur, Catherine tourna les talons et s'en alla a l'ecurie. Sans l'aide de personne, elle sella et brida Morgane, puis, sautant en selle, prit a son tour, sur les traces de la troupe, le chemin de Montsalvy.

A mesure qu'elle montait vers le village, Catherine percevait plus nettement le son des cloches et se guidait sur elles autant que sur le sol foule par les hommes d'Arnaud. Comme Jehanne la Pucelle, Catherine avait toujours aime les cloches dont les voix, graves ou aigues, se repondant a travers le ciel, lui semblaient parler quelque mysterieux langage hors du temps, hors de la terre. Mais, ce matin, leur battement sinistre la frappa. Les cloches du monastere sonnaient en glas et Catherine sentit un frisson courir le long de son dos.

La pensee lui revint que l'on entrait, ce jour-la, en Careme. Le morne egrenement melodieux appelait les paysans aux Cendres de l'humilite, mais le c?ur inquiet de la jeune femme y voyait un mauvais presage. Elle noua un instant ses doigts froids dans la criniere de Morgane pour chercher un peu de chaleur, pour toucher quelque chose de vivant.

Volontairement, elle detourna les yeux du puy de l'Arbre et de ses ruines noires, talonna sa jument et, tete baissee, fonca dans le sous-bois.

Au moment de quitter le couvert des arbres et de deboucher sur le plateau, Catherine retint Morgane, instinctivement, et l'obligea a s'arreter. D'ou elle etait, elle voyait parfaitement l'enceinte fortifiee de Montsalvy et sa porte nord grande ouverte. Elle voyait aussi des paysans qui arrivaient par les petits sentiers, se hatant, fronts penches et dos ronds, comme s'ils etaient poursuivis par quelque fleau. Mais nulle part il n'y avait trace d'Arnaud ni d'aucun de ses hommes. Perplexe, Catherine considera un moment ce qui se passait devant elle. Les deux archers qui montaient la garde a la porte avaient mauvaise mine, des vetements minables, mais des armes luisantes. L'arc tenu a deux mains, pret a servir, ils regardaient entrer les paysans d'un air hargneux. La-haut dans le ciel, sur les tours du monastere, Catherine vit flotter l'etendard rouge frappe de barres et de croissants qu'elle avait deja vu sur les murs de Ventadour : les armes de Villa- Andrado jointes a un pennon bariole plus petit qui representait le routier Valette, son lieutenant. Une brusque colere la gonfla : c'etait bien sur les ordres de l'Espagnol que Valette avait brule Montsalvy et elle comprenait maintenant pourquoi Rodrigue avait refuse les remerciements d'Arnaud ; il savait deja ce qui s'etait passe dans le fief de son ennemi.

Prudemment, Catherine decida d'entrer a pied dans Montsalvy. Puisqu'elle ne voyait pas son epoux, le mieux etait de passer aussi inapercue que possible et Morgane etait bien trop voyante, outre le fait qu'elle pouvait largement exciter la convoitise d'un malandrin. Elle mit pied a terre, conduisit la petite jument par la bride assez profond dans le sous-bois, la ou personne ne la verrait. Puis elle l'attacha a un arbre et, apres lui avoir recommande de l'attendre tranquillement, elle s'eloigna vers le village.

Sa robe de laine brune et la grande cape grise qui la recouvrait n'avaient rien qui put attirer l'attention. C'etaient de modestes vetements, assez fatigues d'ailleurs par le voyage. Mais, pour franchir la porte, Catherine tira son capuchon jusque sur ses yeux. Elle s'avanca en s'efforcant de garder une allure naturelle bien que son c?ur battit plus vite. En vain, d'ailleurs ; les hommes d'armes ne lui preterent pas la moindre attention. Seul, l'un d'eux ricana :

— Allons, croquants, depechez ! Sinon vous allez manquer le spectacle...

Le spectacle ? La jeune femme ne s'attarda pas a poser des questions.

Elle pressa le pas, franchit la voute ronde et se retrouva dans l'etroite et unique rue ou, a l'ombre du couvent benedictin, se tassaient les maisons basses de Montsalvy. A l'eglise, le glas sonnait toujours et les notes lugubres tombaient d'aplomb sur la tete de Catherine. D'autres gens, en guenilles pour la plupart et l'air accable, suivaient le meme chemin.

En debouchant sur la petite place ou s'ouvrait l'eglise .romane, elle vit qu'une foule silencieuse l'emplissait, grossie d'instant en instant par ceux qui venaient du dehors et ceux qui, marques de cendre grise, sortaient de l'eglise. Ces derniers marchaient le front bas, evitant de regarder les hommes d'armes masses au portail et l'homme enchaine qu'ils gardaient. C'etait un petit bonhomme bossu et contrefait dont le visage gris avait la couleur meme de cette cendre qui marquait les autres. Sa mine defaite, ses yeux hagards contrastaient violemment avec les oripeaux barioles dont il etait vetu. Des chausses mi- partie rouges et vertes flottaient autour de ses jambes tordues. Une tunique jaune ornee de grelots, un grand manteau rouge et une couronne de carton dore lui composaient un costume grotesque, qui eut ete risible si l'homme qui le portait n'eut ete si pitoyable. Mais personne n'avait envie de rire et Catherine pas plus que les autres. Elle ne voyait que des regards fiches en terre, des mains aux poings serres, des joues creusees par les larmes et les privations.

De temps en temps, un sanglot crevait le lourd silence qui planait entre chacun des lents battements de la cloche. Les trognes feroces, hilares et avinees des routiers formaient un effrayant contraste avec tous ces visages griffes par la peur et la douleur.

Dans l'eglise, maintenant, des chants funebres se faisaient entendre et l'on voyait brasiller des cierges par le portail ouvert. Catherine tourna les yeux autour d'elle, incapable de comprendre ce qui se passait. Et ou donc etaient Arnaud, Gauthier, Saturnin... et les autres ? Elle avait l'impression absurde de rever et se pinca pour s'assurer qu'elle etait bien eveillee.

La foule murmura soudain. Sous le tympan de pierre, sculpte de personnages naifs aux gestes raides, un tres vieil homme mitre, crosse en main, venait d'apparaitre aupres d'un guerrier au visage osseux et ruse dont l'armure cabossee et la pretentieuse dalmatique de soie qui la recouvrait ne parvenaient pas a dissimuler l'effrayante maigreur. La peau tannee couvrait seulement la carcasse du visage qui avait l'aspect terrifiant d'une tete de mort. L'homme etait si affreux que Catherine ferma les yeux un instant. Les plumes vertes dansant au cimier du nouveau venu ajoutaient encore a son cote spectral. L'abbe qui se tenait a ses cotes, si pale sous les broderies d'or de la mitre, osait a peine tourner les yeux vers lui.

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