Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (электронная книга .txt) 📗
— Vous n'allez pas... Non... Pas ca !
— Je t'en supplie, sois courageuse, mon amour, supplia Arnaud. Ne leur donne pas la joie de t'entendre les supplier...
Deja, on les hissait sur l'entassement de fagots. Catherine trebucha et tomba lourdement avec un gemissement. Alors, dans ses liens, Gauthier fit un effort terrible. Gonflant ses muscles et sa vaste poitrine, il fit eclater les cordes. Rugissant comme un lion furieux il tomba de tout son poids, de tous ses muscles sur les hommes d'armes, assommant celui-ci, faisant eclater les dents de celui-la, se forcant un chemin irresistible vers les captifs. Il semblait possede de quelque fureur sacree. Ses yeux lancaient des eclairs, sa bouche se tordait convulsivement et ecumait. Sa force decuplee par la colere, irresistible, abattait les ennemis autour de lui comme la faux dans un champ de ble. Les paysans, saisis d'une admiration superstitieuse, regardaient, bouche bee...
Le geant atteignait le bucher quand une fleche le frappa a l'epaule. Il s'abattit sur les fagots avec un grognement qui trouva son echo dans le cri desespere de Catherine, puis dans le hurlement feroce de Valette.
— Attachez-le avec les autres ! Et que ca flambe !
Catherine ferma les yeux. Contre le bois rugueux
du poteau, la main d'Arnaud, enchaine pres d'elle, cherchait la sienne, la trouvait et l'enfermait.
— C'est la fin, murmura-t-elle d'une voix qui s'etranglait... Nous allons mourir. Mon pauvre petit !... Mon pauvre petit Michel !
Ses yeux brouilles de larmes voyaient, comme dans un cauchemar, la forme grimacante d'un soldat qui, un peu plus loin, allumait une torche... Mais, malgre la mort si proche, tout cela continuait a lui paraitre absurde, comme frappe d'irrealite. Cette chose stupide ne pouvait pas etre vraie. Un miracle allait arriver...
Et le miracle arriva. Un son de trompe retentit, profond, imperieux, et, soudain, la route qui montait de la vallee se couvrit de chevaux, de bannieres et d'armures. Une troupe nombreuse, solidement armee mais somptueuse, venait d'apparaitre.
Le sol tremblait sous le martelement des sabots et, sur la prairie, chacun s'etait fige sur place, regardant. Meme l'homme a la torche, meme Valette qui, sourcils fronces, fixait intensement les arrivants. Comme un vivant mur de fer, un escadron de gens d'armes s'avancaient quatre par quatre sur plusieurs rangs, lances a la cuisse, les flammes multicolores dansant au vent. Ils s'arreterent au bord du plateau, se scinderent en deux et se rangerent de part et d'autre du chemin, livrant passage a un heraut rouge et blanc empanache et rutilant qui portait d'un poing arrogant une grande banniere de toile d'argent sur laquelle grimpait un lion ecarlate...
A peine Arnaud eut-il apercu cet embleme qu'il hurla, a pleine voix :
— A moi, Armagnac !
L'effet fut magique. Le beau heraut n'eut que le temps de se ranger. Un groupe de chevaliers aux armures etincelantes, portant huques brodees, rouges, blanches, bleues, or ou argent, les heaumes sommes d'emblemes fantastiques, les caparacons des chevaux volant autour des sabots qui martelaient le sol, fonca a travers la prairie qui, en un clin d'?il, fut envahie d'un flot guerrier tumultueux et bariole. Ils entouraient un grand chevalier rouge et argent dont le casque etait ceint d'une couronne comtale. D'autres chevaliers suivaient, puis la pietaille des archers, des piquiers aux chapeaux de fer, des ecuyers et meme des pages retenant a pleins poings de grands levriers colletes d'or, heraldiques et superbes. Aupres de cette petite armee, les hommes de Valette faisaient pietre figure et amorcaient deja un mouvement de repli vers la cite !
Mais les paysans qu'ils maintenaient tout a l'heure fermaient desormais la retraite. Le plateau ne cessait de s'emplir de soldats et Catherine, les yeux ecarquilles, cherchait a savoir si ces arrivants etaient amis ou ennemis. Elle ne chercha pas longtemps.
Le comte rouge et argent avait galope jusqu'au bucher sur lequel, malgre le poids de ses armes, il sauta de son cheval. Ses poulaines de fer ecrasaient les fagots et la paille, ses gantelets d'acier arrachaient les chaines qui retenaient les prisonniers aussi aisement qu'une poignee de mauvaise herbe. Sous la ventaille relevee Catherine put voir un visage mince, rouge de fureur, et croisa un regard vert aussi menacant que possible. Mais Arnaud, avec un soupir de soulagement, s'ecriait, une nuance de tendresse dans la voix :
— Cadet Bernard ! Par Notre-Dame ! C'est monseigneur saint Michel qui t'envoie !
— Je lui batirai une chapelle, fit l'autre avec un redoutable accent gascon. Frere Arnaud ! Que fais-tu sur ce tas de fagots, ficele comme un quartier de b?uf?
— Demande-le a Valette.
Les deux hommes s'embrasserent vigoureusement, le poing gante de fer de Bernard frappant le dos de son ami. Mais Arnaud se degagea juste a temps pour empoigner Catherine que ses angoisses avaient brisee et qui perdait connaissance.
Il l'enleva dans ses bras tandis que le nouveau venu se penchait avec curiosite sur la jeune femme defaillante.
— Une beaute ! Qui est-ce ?
— Ma femme ! Mais aide-moi... Il faut emporter cet homme, ajouta-t-il en designant Gauthier qui n'avait toujours pas repris connaissance et gisait a plat ventre sur le bois, il est blesse.
Deja, des hommes d'armes les rejoignaient, emportaient le geant. Un chevalier dont le casque s'ornait d'un dauphin de vermeil aux yeux de jade tendit les bras pour recevoir la jeune femme evanouie. Arnaud allait sauter a son tour du bucher quand le comte le retint.
— Reste ! J'ai encore quelque chose a faire ! Et ce bucher fait un excellent poste de commandement.
Puis, enflant sa voix au paroxysme, il clama :
— Gens d'Armagnac, en avant ! Epargnez vilains et bourgeois, mais egorgez-moi toute cette ribaudaille ! Et je veux le chef vivant !
Comme s'ils n'attendaient que cet ordre pour frapper, hommes d'armes et chevaliers se ruerent sur les routiers. Fauchards, coutelas, epees, dagues et haches d'arme entrerent en danse. En quelques instants, la prairie au-dela des chataigniers fut transformee en abattoir. La terre buvait le sang dont les minces rigoles allaient se perdre sous les arbres. L'air etait plein de gemissements de douleur, de cris et de rales d'agonie. Pres de la porte, la masse grise des paysans assistait, partagee entre la terreur et le soulagement, au massacre tandis que, debout sur le bucher, poings aux hanches, jambes ecartees et visage de pierre, Cadet Bernard regardait.
C'est seulement quand le dernier routier eut expire et que Valette, charge de chaines, eut ete traine vers le monastere que le comte au lion sanglant descendit enfin de son poste d'observation, une main posee sur l'epaule d'Arnaud.
Une sensation de vive chaleur ranima Catherine. Elle ouvrit les yeux et se vit couchee sur un matelas, devant une immense cheminee de pierre ou flambait un tronc d'arbre tout entier. Agenouille aupres d'elle, Arnaud frictionnait ses mains pour les rechauffer et la regardait avec anxiete. La voyant ouvrir les yeux, il lui sourit.
— Tu te sens mieux ? Tu m'as fait peur, tu sais ? Nous n'arrivions pas a te ranimer.
— Quelle dame, enchainee a un madrier sur une pile de buches, n'aurait perdu les sens ? Je ne me serais jamais pardonne un instant de retard, Madame...
Le comte rouge et argent apparut derriere Arnaud, dans la lumiere dansante des flammes. Il portait toujours ses huques somptueuses sur l'armure grise, mais sa tete, debarrassee du heaume, montrait un visage fin et gai aux traits irreguliers et agreables, des yeux couleur de mer et une courte calotte de cheveux noirs au-dessus de deux oreilles pointues qui accentuaient l'aspect faunesque de sa physionomie. Il regardait Catherine avec une gentillesse qui n'etait pas exempte d'admiration, et la jeune femme, spontanement, lui tendit la main.
Sire comte, dit-elle, je vous dois plus que la vie puisque je vous dois aussi celle de mon epoux bien- aime. Je ne l'oublierai pas et, pour ces bienfaits, je vous rends grace. Puis-je ajouter, fit-elle avec un sourire, que j'aimerais savoir qui vous etes ?