Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (электронная книга .txt) 📗
Ce fut Arnaud qui se chargea de presenter a sa femme Bernard d'Armagnac, comte de Pardiac, dit « Cadet Bernard » et qui, pour lui, etait avant tout un compagnon d'enfance, car ils avaient a peu pres le meme age. Redressee sur son matelas de maniere a etre adossee au pilier de la cheminee, Catherine examinait curieusement ce garcon inconnu dont, cependant, le nom avait domine toute sa jeunesse. C'etait donc un de ces fameux chefs de la maison d'Armagnac qui, depuis tantot vingt-cinq ans, depuis l'assassinat du duc d'Orleans par Jean sans Peur, avaient fait de la France un immense champ de bataille, a la mesure de leur haine pour les Bourguignons ? Catherine se dit que Cadet Bernard representait sa famille de facon tres convaincante.
Il etait le second fils de ce connetable d'Armagnac qui avait jadis repris Paris a Caboche l'Ecorcheur avant de tomber massacre par les Bourguignons en 1418, et son sang etait l'un des meilleurs de France. Par sa mere Bonne de Berry, Cadet Bernard, comme son frere aine le comte Jean IV, etait le petit-fils du roi Charles V. Le sang royal se lisait dans toute sa personne elegante et racee, dans la finesse des attaches et la hauteur du regard. Mais a l'ancetre Sanchez Mittara, fondateur du duche de Gascogne, il devait sa peau brune, ses cheveux d'encre et cette mobilite des traits, cette gouaille nonchalante nuancee de ferocite qui formaient le fond de sa physionomie. Grands guerriers, grands chasseurs, les Armagnacs etaient celebres a la fois pour leur cruaute et leurs talents de poete. Mais ils meprisaient la mort et se montraient implacables dans la vengeance. Catherine se souvenait avoir entendu dire que le comte Jean IV portait, attache a sa banniere, le ruban de peau que les gens de Bourgogne avaient leve sur le dos de son pere lorsqu'il avait ete massacre.
Pourtant, ces memes feodaux redoutables tenaient cours d'amour et rimaient pour leurs belles et pour Notre-Dame les plus tendres vers...
C'est a ce dernier talent familial que Cadet Bernard choisit de se referer. Offrant son poing ferme a la jeune femme, il l'aida a se remettre sur pied, puis, la menant jusqu'a une haute chaise sculptee et garnie de coussins, il chuchota galamment :
— Belle comtesse, ce soir, je composerai sur le luth un sirventes en l'honneur de votre grace, mais, pour l'heure presente, il me faut vous quitter, et vous priver du meme coup de votre epoux.
— Ou allez-vous donc ?
Bernard d'Armagnac se redressa apres avoir effleure de ses levres les doigts de la jeune femme.
— Faire justice ! Dans un instant, Valette sera pendu aux fourches patibulaires de l'abbaye. Il l'a amplement merite.
Ce n'est qu'un bandit. Il se targue de servir le roi Charles VII, mais, comme Villa- Andrado lui-meme, il ne sert que La Tremoille... Or, je hais La Tremoille ! Reposez-vous en nous attendant. Vous etes ici dans l'hostellerie de l'abbaye ou les votres vont venir vous rejoindre.
Il s'eloignait vers la porte, raflant son heaume pose sur un coffre au passage. Arnaud se pencha vers sa femme pour l'embrasser, mais elle s'accrocha a lui.
— Gauthier ?... et le reste de la famille ?
— Le Normand est aux mains du frere-physicien, sa blessure n'est pas grave. Et j'ai fait envoyer chercher ma mere, l'enfant... et tout le reste de la famille. Le venerable abbe nous offre l'hospitalite. Maintenant, reste ici tranquillement. Tu as eu ton compte d'emotions.
Il allait s'eloigner quand elle le retint. Elle venait de se souvenir de Morgane qu'elle avait laissee attachee dans le bois, derriere le bourg, et qui devait trouver le temps long.
— Il faut aller la chercher, dit-elle, a moins qu'elle ne se soit sauvee.
— J'irai moi-meme, promit Arnaud, aussitot que...
Une cloche qui s'ebranlait dans le clocher proche acheva sa phrase mieux qu'il ne l'eut fait lui-meme. Catherine tendit l'oreille. C'etait de nouveau le glas, comme tout a l'heure. D'un glas a l'autre, tant de choses avaient change ! Il ne s'etait pas ecoule beaucoup d'heures et pourtant la jeune femme avait l'impression que des mois avaient passe depuis qu'elle avait quitte la metairie de Saturnin. Fermant les yeux, elle se laissa aller contre le dossier de son siege, laissant le son des cloches funebres qui appelaient un bandit a son dernier voyage couler sur elle, sur la securite revenue, sur ses nerfs apaises. Et, sans rancune, elle tendit ses mains froides au feu dont, un instant, elle avait cru perir.
Ses longues jambes gainees de daim gris etendues devant lui, semelles posees sur les landiers et offertes au feu, Cadet Bernard sirotait son vin aux herbes avec un plaisir visible. Sous le rideau bistre des paupieres, ses yeux verts, luisant de contentement, denoncaient l'esprit en alerte. Penche en avant, les coudes aux genoux et les mains nouees, Arnaud le regardait sans rien dire. Quant a Catherine, tapie au fond de son haut fauteuil, elle attendait que s'achevat ce silence soudain qui menacait de s'eterniser. Seul, l'eclatement d'une buche, dans l'atre, troublait de temps en temps le calme environnant l'hostellerie. Les moines de Montsalvy dormaient dans leurs cellules, attendant inconsciemment sous le poids de fatigue qui les ecrasait la cloche de matines qui, au c?ur profond de la nuit, les jetterait, les paupieres clignotantes et la tete vide, ivres de sommeil, a la chapelle glaciale.
Le souper avait ete joyeux, copieux, car les reserves de l'abbaye etaient encore respectables, et s'etait poursuivi tard dans la nuit. Isabelle de Montsalvy s'etait retiree, depuis plus d'une heure, dans la cellule qu'on lui avait reservee, avec le petit Michel sur lequel elle veillait avec un soin jaloux, quasi maniaque, et qui faisait froncer les sourcils de Sara. Marie de Comborn s'etait egalement retiree chez elle, sur un ordre bref d'Arnaud, suivie de pres par Sara que Catherine avait chargee de surveiller discretement la jeune fille. Maintenant, Catherine, Arnaud et leur sauveur etaient seuls, dans cette intimite que cree l'instant paisible suivant un souper pris dans la quietude. Plus rien, desormais, ne pouvait les menacer.
Tout autour du village, les gens d'Armagnac avaient dresse leurs tentes, installe leurs bivouacs. Parfois, l'echo d'un galoubet arrivait jusqu'au vieux couvent benedictin, sur le vent venu des grands causses.
Catherine goutait intensement cette paix si nouvelle, tellement inattendue. Elle n'avait pas sommeil, son evanouissement et le repos qui l'avait suivi ayant efface sa fatigue. Pour la premiere fois, les choses avaient la couleur que, dans ses reves, elle leur avait pretee. Il n'y avait pas si longtemps que les chants et les danses des bonnes gens de Montsalvy avaient cesse car on avait celebre la fin des oiseaux de proie. Le pauvre Etienne, l'infortune Carnaval de quelques heures, etait venu, lui aussi, avec sa cabrette, pour dire merci, a sa facon. La paix merveilleuse d'une nuit semee d'etoiles, une vraie nuit de printemps chargee d'espoir et gorgee de seve en travail, enveloppait le village sorti du cauchemar.
Soudain, Bernard d'Armagnac s'etira, baillant a se decrocher la machoire. Son corps parut s'allonger demesurement.
Puis il tourna vers Arnaud un regard languissant.
— Que vas-tu faire maintenant ?
Que puis-je faire ? repliqua Arnaud maussade. Reconstruire ? Le pays est exsangue, les terres appellent tous les bras et il n'est que temps de s'en occuper, puisque la guerre ravage tout. Enfin, tu oublies que je suis un rebelle et que mes terres ne m'appartiennent plus ! Il faut que l'Auvergne renaisse, ensuite seulement les chateaux detruits pourront resurgir... mais seulement quand les tours domineront autre chose qu'un desert et quand au pied des courtines pousseront les bles.
— Alors?
— Tu m'as dit que tu reprenais la guerre contre La Tremoille. Tu vas rejoindre le connetable de Richemont, Cadet Bernard. Richemont, comme le duc de Bourbon, mon suzerain, veut abattre la bete fauve. Le mieux, je pense, est de laisser les miens a la garde de l'abbe et de te suivre.