Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (электронная книга .txt) 📗
— Que veux-tu dire ? fit-il avec fureur, quelles amours ?
— Celles que je n'aurais jamais du quitter : le duc Philippe. Je vais partir, moi aussi, Arnaud de Montsalvy, je vais rentrer chez moi, en Bourgogne, retrouver mes terres, mes chateaux, mes joyaux...
— Et la reputation d'une femme perdue ?
— Perdue ? (Elle eut un petit rire bref, infiniment douloureux.) Ne suis-je pas deja perdue ? Penses-tu que je vais demeurer ici, enfermee dans ce chateau croulant, a user ma jeunesse, ma beaute, a contempler le ciel, a prier aupres de ta mere, a m'occuper de bonnes ?uvres et a supplier le ciel de te ramener a moi quand tu en auras assez de ton sac d'os ?
Non ! Si tu l'as cru, tu t'es trompe, Monseigneur ! Je vais repartir chez moi... et j'emmenerai mon fils.
— Non !
La voix d'Arnaud avait porte si loin qu'une des sentinelles arpentant lourdement la tour voisine s'arreta, interdite, la lance en arret... cherchant d'ou venait ce cri. Plus bas, alors, mais avec une farouche determination, il reprit :
— Non, Catherine. Tu ne partiras pas... Tu resteras ici, de gre ou de force !
— Pendant que tu t'en vas avec l'autre ? Tu es fou, je pense ? Je ne resterai pas une heure de plus. Avant que le soir tombe, j'aurai quitte ce chateau de malheur avec mes gens, avec Sara et Gauthier... et avec mon enfant !
Sa voix se fela sur le dernier mot. Elle imaginait deja ce depart, le pas des chevaux resonnant sur le sol dur, s'eloignant, et le chateau disparaissant dans le brouillard, dans le lointain, s'effacant comme un reve... un reve qui avait dure dix ans !
— Ainsi, ajouta-t-elle, tu n'auras pas a quitter ton poste, tu pourras demeurer ici, entre ta mere et cette... et tu ne seras pas oblige de forfaire a l'honneur !
— En quoi ? fit Arnaud sechement.
— En abandonnant le chateau que t'a confie un ami. Tu devais garder Carlat... et il faut que tu l'aimes bien fort, cette fille, pour accepter a la fois de me traiter comme tu fais et de tout abandonner de ce qui fut ta vie de soldat.
Si Catherine tremblait de tous ses membres en parlant, Arnaud, plus que jamais, semblait une statue d'acier. L'ombre du casque dissimulait suffisamment son visage pour que Catherine ne vit pas le desespoir qui habitait les yeux. Il recula de quelques pas pour etre encore moins visible.
— Ecoute-moi, Catherine, dit-il, et sa voix semblait venir de tres loin. Que tu le veuilles ou non, tu es dame de Montsalvy, tu es la mere de mon fils et jamais un Montsalvy ne passera en Bourgogne. La fidelite est un devoir sacre.
Sauf envers sa propre femme ! ricana douloureusement Catherine. Tu me laisserais repartir, peut- etre, s'il n'y avait que moi. Mais tu es assez lache pour te servir de mon enfant, pour m'obliger a demeurer ta captive, ta captive malgre moi, malgre tout, malgre ta trahison... Et tu veux que je demeure ici, seule, abandonnee de tous, dans un pays inconnu, au milieu des dangers, pour t'en aller au loin vivre je ne sais quel amour stupide...
Soudain, la douleur l'emporta sur la colere. Elle courut a son epoux, entoura de ses bras le torse vetu de fer, posant sa joue brillante de larmes contre la froide et lisse surface de l'armure.
— C'est un cauchemar, dis, c'est un mauvais reve dont je vais me reveiller ? Ou alors tu veux m'eprouver pour voir si je te suis reellement fidele ? Oui, c'est surement cela ? Cette fille t'a exaspere avec ses calomnies et tu as voulu savoir...
Mais, tu sais, n'est-ce pas, tu sais que je t'aime ? Alors... par pitie, cesse de me torturer, cesse de me faire du mal... Tu vois bien que j'en meurs. Sans toi ma vie n'a plus de sens, je suis plus perdue qu'un enfant au c?ur de l'orage et de la nuit. Aie pitie de moi, reste avec moi !... nous nous sommes trop aimes pour qu'il n'en reste rien !...
Sous sa tete, elle entendait battre le c?ur, prisonnier de sa carapace d'acier. Il battait vite, a grands coups lourds et puissants, mais trop rapides sans doute. Se pouvait-il que ce c?ur sur lequel, tant de fois, elle avait dormi, ne battit plus pour elle ?... La douleur dechirante de son c?ur a elle lui fit peur. Catherine voulut resserrer son etreinte, mais Arnaud, doucement, detachait les bras noues autour de lui, s'eloignait de quelques pas.
A quoi bon tenter de reveiller ce qui n'est plus, Catherine ? Je n'y peux rien, et toi non plus... Nous n'etions pas faits l'un pour l'autre. Maintenant, ecoute mes paroles, ce sont les dernieres. Je n'abandonne pas cette forteresse. J'ai fait prevenir Bernard en lui demandant de me faire relever de mon commandement, d'envoyer d'urgence un capitaine... Des qu'il sera la... et il ne saurait tarder, je partirai. A toi, je laisse mon fils, mon nom, ma mere.
— Tout ce qui te gene ! cria Catherine en qui la colere revenue se melait a une atroce deception. Mais tu ne pourras rien pour me retenir, ni toi ni tes pareils. A peine auras-tu tourne les talons que je partirai... et le nom de Montsalvy brillera bientot a l'armoriai de Bourgogne, tu m'entends, de Bourgogne ! J'apprendrai a Michel a hair les Armagnacs, j'en ferai, plus tard, un page du duc Philippe, un soldat de Bourgogne qui ne connaitra pas d'autre maitre que le grand-duc d'Occident !
— Je saurai bien t'en empecher, meme absent ! gronda Montsalvy.
— Personne ne m'a jamais empechee de faire ce que j'avais envie de faire, pas meme Philippe de Bourgogne... et il etait plus fort que toi !
— Gardes !
Le mot claqua et soudain les deux epoux, dresses l'un en face de l'autre, ne furent plus que deux ennemis. Les sentinelles n'etaient pas loin. Deux d'entre elles accoururent. Arnaud leur designa la jeune femme qui, bleme et les dents serrees pour maitriser sa douleur et sa rage, se tenait adossee au creneau.
— Conduisez Mme de Montsalvy dans sa chambre. Elle ne devra en sortir sous aucun pretexte. Faites bonne garde, c'est un ordre et vous m'en repondrez sur votre tete. Mettez deux hommes a sa porte, un autre dans la chambre meme. Si elle se rend chez ma mere, on devra la suivre, mais elle n'aura pas le droit d'aller ailleurs. Sa servante, Sara, aura libre acces aupres d'elle et aussi l'homme qui se nomme Gauthier. Allez maintenant ! Et priez messire de Cabanes de venir me parler. (Il se tourna vers Catherine.) Je suis navre, Madame, d'user ainsi de rigueur avec vous, mais vous m'y obligez... a moins que vous ne donniez votre parole de ne pas chercher a fuir !
Cette parole, je ne la donnerai jamais. Enfermez-moi, Messire, ce sera le digne couronnement de vos bienfaits envers moi.
Tres droite, la tete haute, elle fit demi-tour et, sans ajouter un regard ou un mot, se dirigea vers l'escalier, ses gardes sur les talons. Tous ses mouvements etaient automatiques. Elle allait comme dans un songe, l'esprit enveloppe de brume, les yeux brulants et la tete lourde. Elle avait la curieuse impression d'etre un condamne a mort que l'on vient d'executer et qui, mort cependant, redescend les marches de son echafaud... L'immensite du desastre qui la frappait etait telle qu'elle ne parvenait pas a le mesurer totalement. Elle etait seulement accablee, hebetee... Plus tard quand ce bienheureux engourdissement prendrait fin, la souffrance, elle le savait, se reveillerait plus brulante. Pour l'instant, la colere, l'indignation, un vague degout s'y melaient et, en quelque sorte, l'adoucissaient.
En franchissant le seuil de sa chambre, elle s'arreta. Sara, debout aupres du berceau de Michel, se retourna et, la voyant si pale dans le cadre de la porte, entre ces hommes d'armes assez embarrasses de leur personnage d'ailleurs, poussa un cri, courut a elle.
— Catherine ! Par le sang du Christ...
La jeune femme ouvrit la bouche pour dire quelque chose, tendit les bras dans un geste d'appel pitoyable... Une vague de chaleur montait a son cerveau, l'enflammait... Elle avait chaud, tout a coup... Tout brulait dans sa tete. Soudain, une douleur la vrilla et, avec un faible cri, elle s'ecroula aux pieds de Sara, tordue par une terrible crise nerveuse. Les yeux revulses, grincant des dents, une mousse legere au coin des levres, les bras et les jambes s'agitant spasmodiquement, elle se roula sur le dallage froid, a la grande terreur des hommes d'armes qui, oubliant leur mission, s'enfuirent en courant. Elle n'entendit pas le cri d'epouvante de Sara, elle ne vit pas Gauthier entrer comme une bombe dans la chambre, ni accourir les autres serviteurs du chateau... Elle etait aux prises avec une si terrible souffrance physique que la conscience s'en etait allee et que, du moins, la notion de son amour detruit etait pour le moment ecartee. C'etait peut-etre une forme de la misericorde divine, mais, en tentant de porter secours a Catherine, Sara sentait que le calvaire ne faisait seulement que commencer.