Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian (книги .TXT) 📗
«Je reussis cependant a ouvrir la fenetre. Je vis tout ce monde courir et sauter sur la glace. Que de beaux drapeaux il y avait la, qui voltigeaient au souffle du vent! Les jeunes garcons criaient hourrah! Servantes et domestiques dansaient en rond et chantaient. Ils s'amusaient de tout coeur. Mais le nuage blanc avec le point noir… Je criai tant que je pus; personne ne m'entendit, j'etais trop loin d'eux. Bientot la tourmente allait eclater; la glace, soulevee par la mer, se briserait, et tous, tous seraient perdus. Personne ne pourrait les secourir!
«Je criai encore de toutes mes forces. Ma voix ne fut pas plus entendue que la premiere fois. Impossible d'aller a eux. Comment donc les ramener a terre?
«Le bon Dieu m'inspira alors l'idee de mettre le feu a mon lit, et d'incendier ma maison plutot que de laisser perir miserablement tous ces pauvres gens. J'executais aussitot ce dessein. Les flammes rouges commencerent a s'elever. C'etait comme un phare que je leur allumai. Je franchis la porte, mais je restai la par terre. Mes forces etaient epuisees. Le feu sortait par le toit, par les fenetres, par la porte: des langues de flammes venaient jusqu'a moi comme pour me lecher.
«La population qui etait sur la glace apercut la clarte; tous accoururent pour sauver une pauvre creature qui, pensaient-ils, allait etre brulee vivante. Il n'y en eut pas un qui ne se precipitat vers la digue. Puis la maree monta, souleva la glace et la brisa en mille morceaux. Mais il n'y avait plus personne, tout le monde etait accouru vers la digue. Je les avais tous sauves.
«La frayeur, l'effort que je dus faire, le froid glacial qui me saisit, acheverent ma triste existence, et c'est ainsi que me voila arrivee a la porte du ciel.»
La porte du paradis s'ouvrit, et un ange y introduisit la pauvre vieille. Elle laissa tomber un brin de paille, un de ceux qui etaient dans son lit lorsqu'elle y mit le feu. Cette paille se changea en or pur, grandit en un moment, poussa des branches, des feuilles et des fleurs, et fut comme un arbre d'or splendide.
– Tu vois, dit l'ange au raisonneur, ce que la pauvresse a apporte. Et toi, qu'apportes-tu? Rien, je le sais, tu n'as rien produit en toute ta vie. Tu n'as pas meme faconne une brique. Si encore tu pouvais retourner sur terre pour en confectionner une seule, elle serait surement mal faite; mais ce serait du moins une preuve de bonne volonte, et la bonne volonte, c'est quelque chose.
Alors la vieille petite mere de la maison de la digue:
– Je le reconnais, dit-elle, c'est son frere qui m'a donne les briques et les debris de briques avec lesquels j'ai bati ma maisonnette. Quel bienfait ce fut pour moi, la pauvresse! Est-ce que tous ces morceaux de briques ne pourraient pas tenir lieu de la brique qu'il aurait a fournir? Ce serait un acte de grace.
– Tu le vois, reprit l'ange, le plus humble de tes freres, celui que tu estimais moins encore que les autres, et dont l'honnete metier te paraissait si meprisable, c'est lui qui pourra te faire entrer au paradis. Toutefois tu n'entreras pas avant que tu aies quelque chose a faire valoir pour suppleer a ta reelle indigence.
«Tout ce qu'il dit la, pensa en lui-meme le raisonneur, aurait pu etre exprime avec plus d'eloquence.» Mais il garda sa remarque pour lui seul.
La reine des neiges
Voila! Nous commencons. Lorsque nous serons a la fin de l'histoire, nous en saurons plus que maintenant, car c'etait un bien mechant sorcier, un des plus mauvais, le «diable» en personne.
Un jour il etait de fort bonne humeur: il avait fabrique un miroir dont la particularite etait que le Bien et le Beau en se reflechissant en lui se reduisaient a presque rien, mais que tout ce qui ne valait rien, tout ce qui etait mauvais, apparaissait nettement et empirait encore. Les plus beaux paysages y devenaient des epinards cuits et les plus jolies personnes y semblaient laides a faire peur, ou bien elles se tenaient sur la tete et n'avaient pas de ventre, les visages etaient si deformes qu'ils n'etaient pas reconnaissables, et si l'on avait une tache de rousseur, c'est toute la figure (le nez, la bouche) qui etait criblee de son. Le diable trouvait ca tres amusant.
Lorsqu'une pensee bonne et pieuse passait dans le cerveau d'un homme, la glace ricanait et le sorcier riait de sa prodigieuse invention.
Tous ceux qui allaient a l'ecole des sorciers-car il avait cree une ecole de sorciers-racontaient a la ronde que c'est un miracle qu'il avait accompli la. Pour la premiere fois, disaient-ils, on voyait comment la terre et les etres humains sont reellement. Ils couraient de tous cotes avec leur miroir et bientot il n'y eut pas un pays, pas une personne qui n'eussent ete deformes la-dedans.
Alors, ces apprentis sorciers voulurent voler vers le ciel lui-meme, pour se moquer aussi des anges et de Notre-Seigneur. Plus ils volaient haut avec le miroir, plus ils ricanaient. C'est a peine s'ils pouvaient le tenir et ils volaient de plus en plus haut, de plus en plus pres de Dieu et des anges, alors le miroir se mit a trembler si fort dans leurs mains qu'il leur echappa et tomba dans une chute vertigineuse sur la terre ou il se brisa en mille morceaux, que dis-je, en des millions, des milliards de morceaux, et alors, ce miroir devint encore plus dangereux qu'auparavant. Certains morceaux n'etant pas plus grands qu'un grain de sable voltigeaient a travers le monde et si par malheur quelqu'un les recevait dans l'oeil, le pauvre accidente voyait les choses tout de travers ou bien ne voyait que ce qu'il y avait de mauvais en chaque chose, le plus petit morceau du miroir ayant conserve le meme pouvoir que le miroir tout entier. Quelques personnes eurent meme la malchance qu'un petit eclat leur sautat dans le coeur et, alors, c'etait affreux: leur coeur devenait un bloc de glace. D'autres morceaux etaient, au contraire, si grands qu'on les employait pour faire des vitres, et il n'etait pas bon dans ce cas de regarder ses amis a travers elles. D'autres petits bouts servirent a faire des lunettes, alors tout allait encore plus mal. Si quelqu'un les mettait pour bien voir et juger d'une chose en toute equite, le Malin riait a s'en faire eclater le ventre, ce qui le chatouillait agreablement.
Mais ce n'etait pas fini comme ca. Dans l'air volaient encore quelques parcelles du miroir!
Ecoutez plutot.
Deuxieme histoire Un petit garcon et une petite fille
Dans une grande ville ou il y a tant de maisons et tant de monde qu'il ne reste pas assez de place pour que chaque famille puisse avoir son petit jardin, deux enfants pauvres avaient un petit jardin. Ils n'etaient pas frere et soeur, mais s'aimaient autant que s'ils l'avaient ete. Leurs parents habitaient juste en face les uns des autres, la ou le toit d'une maison touchait presque le toit de l'autre, separes seulement par les gouttieres. Une petite fenetre s'ouvrait dans chaque maison, il suffisait d'enjamber les gouttieres pour passer d'un logement a l'autre. Les familles avaient chacune devant sa fenetre une grande caisse ou poussaient des herbes potageres dont elles se servaient dans la cuisine, et dans chaque caisse poussait aussi un rosier qui se developpait admirablement. Un jour, les parents eurent l'idee de placer les caisses en travers des gouttieres de sorte qu'elles se rejoignaient presque d'une fenetre a l'autre et formaient un jardin miniature. Les tiges de pois pendaient autour des caisses et les branches des rosiers grimpaient autour des fenetres, se penchaient les unes vers les autres, un vrai petit arc de triomphe de verdure et de fleurs. Comme les caisses etaient placees tres haut, les enfants savaient qu'ils n'avaient pas le droit d'y grimper seuls, mais on leur permettait souvent d'aller l'un vers l'autre, de s'asseoir chacun sur leur petit tabouret sous les roses, et ils ne jouaient nulle part mieux que la. L'hiver, ce plaisir-la etait fini. Les vitres etaient couvertes de givre, mais alors chaque enfant faisait chauffer sur le poele une piece de cuivre et la placait un instant sur la vitre gelee. Il se formait un petit trou tout rond a travers lequel epiait a chaque fenetre un petit oeil tres doux, celui du petit garcon d'un cote, celui de la petite fille de l'autre. Lui s'appelait Kay et elle Gerda.