Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта (книги хорошем качестве бесплатно без регистрации .txt) 📗
Un sourire plein de bonte vint eclairer le visage du moine blanc.
— Vous desirez beaucoup partir, n'est-ce pas ?
— Je le desire plus que tout au monde.
— Alors, venez. Je vais vous entendre en confession, puis je vous donnerai un billet pour le prieur de l'Hotel- Dieu.
— Avez-vous donc le pouvoir de me faire admettre si tard ?
— Il n'y a pas d'heure pour s'approcher de Dieu. Et je suis Guillaume de Chalencon, l'eveque de cette ville. Venez, ma fille.
Le c?ur envahi d'un merveilleux espoir, Catherine suivit la blanche silhouette du prelat.
En quittant l'eglise, Catherine avait des ailes. Elle avait l'impression que tout, maintenant, allait s'arranger, que ses espoirs retrouvaient toute leur vigueur, que plus rien n'etait impossible. Il suffisait seulement d'avoir du courage et, du courage, elle en avait a revendre desormais.
A l'entree de l'Hotel-Dieu, dont le haut portail ogival garde par des lions de pierre s'ouvrait sur les marches memes de la cathedrale, elle trouva Frere Eusebe qui l'attendait, assis sur une borne, et disant placidement son chapelet. La voyant approcher il la regarda d'un air malheureux.
— Dame Catherine, il n'y a plus de place dans les dortoirs. Les pelerins couchent dans la cour, et je n'ai pas pu vous trouver meme une paillasse. Moi, je peux toujours demander asile dans un couvent.
Mais vous ?
Moi ? Cela n'a pas d'importance. Je dormirai dans la cour, avec les autres. D'ailleurs, Frere Eusebe, il est temps a cette heure que je vous avoue la verite. Je ne rentrerai pas avec vous a Montsalvy. Demain, avec les autres pelerins, je partirai vers Compostelle... Rien ne peut m'en empecher. Mais je veux vous demander pardon pour les ennuis que je vais vous causer. Le seigneur abbe...
Un grand sourire vint eclairer le visage rond du petit Frere portier.
De sous sa robe, il tira un rouleau de parchemin et le donna a Catherine.
— Notre tres Reverend Pere Abbe, coupa-t-il, m'a charge de vous remettre ceci, dame Catherine. Mais je ne devais vous le donner qu'une fois votre v?u accompli. Il l'est, n'est-ce pas ?
— Il l'est.
— Alors, voici.
D'une main hesitante, Catherine prit le rouleau, en brisa le cachet, le deroula. Il ne contenait que peu de mots, mais leur lecture fit monter a son front une bouffee de joie.
« Allez en paix, avait ecrit Bernard de Calmont, et que Dieu vous accompagne. Je veillerai sur l'enfant et sur Montsalvy. »
Le regard qu'elle adressa au Frere portier etait rayonnant de bonheur. Dans son enthousiasme, elle baisa la signature de la lettre avant de la glisser dans son aumoniere, puis elle tendit la main a son compagnon.
— C'est ici que nous nous separons. Retournez a Montsalvy, Frere Eusebe, et dites au Tres Reverend Abbe que j'ai honte d'avoir manque de confiance en lui, mais que je le remercie. Rendez-lui les mules, je n'en ai pas besoin. C'est a pied, comme les autres, que je ferai le chemin.
Puis, se detournant, elle s'envola, legere comme un oiseau delivre, vers l'autre cote de la rue ou se balancait une belle enseigne qui representait un pelerin sous son grand chapeau, le bourdon a la main, et qui annoncait a tous qu'au « Chemin de Saint-Jacques » maitre Croizat tenait boutique de fournitures pour le pieux voyage.
Ceux qui allaient partir etaient une cinquantaine, hommes et femmes, venus d'Auvergne, de Franche- Comte ou meme d'Allemagne. Ils se groupaient par regions et par affinites, mais quelques-uns demeuraient isoles, preferant leur solitude et leur propre compagnie.
Au milieu de ses nouveaux compagnons, Catherine assista a la Grand-messe de Paques. Elle vit passer, a quelques pas d'elle seulement, le Roi Charles VII gagnant le haut fauteuil dispose pour lui dans le ch?ur. Aupres de lui, elle reconnut la puissante silhouette d'Arthur de Richemont. Le Connetable de France, en ce jour de Paques, reprenait officiellement son rang et sa charge. Entre ses fortes mains, la jeune femme vit briller la grande epee bleue, fleurdelysee d'or. Elle vit aussi la reine Marie, et, parmi les gens de Richemont, elle reconnut la grande silhouette de Tristan l'Hermite... Tristan, son dernier ami. La tentation fut grande de rompre les rangs silencieux qui l'entouraient, d'aller vers lui... Il serait bon d'entendre son exclamation joyeuse, d'evoquer les souvenirs des jours passes.
Mais elle retint le mouvement qui allait la jeter en avant. NON...
elle n'appartenait plus a ce monde brillant, colore, fastueux. Entre lui et elle, il y avait maintenant l'engagement de la veille, la robe blanche de cet eveque qui, la-bas, dans le ch?ur illumine, celebrait la messe en chape d'or frise. La barriere invisible qui la separait de cette cour a laquelle, de droit, elle appartenait encore, Catherine ne voulait pas la renverser. L'avenir etait ailleurs et, loin de se montrer, elle se fit plus petite au milieu de ses voisins, entre un immense gaillard grisonnant et barbu, qui chantait avec une voix de grandes orgues, et une femme seche et pale, dont le regard fanatique s'attachait a l'autel scintillant.
Quand elle la regardait, Catherine oscillait entre la pitie et la repugnance, car elle doutait que cette femme, malade visiblement et qui faisait entendre de temps en temps une toux seche et caverneuse, put supporter les fatigues du pelerinage.
Quant a elle-meme, qui donc eut reconnu la comtesse de Montsalvy, la belle veuve de Chinon qu'adorait a deux genoux Pierre de Breze, en cette femme vetue comme tous ses compagnons ? Une robe de bure epaisse sur une chemise de lin, des chaussures solides, un grand manteau capable de resister a toutes les pluies, a tous les vents et, sur la guimpe de fine toile qui enserrait son visage, un grand chapeau de feutre noir qu'une coquille d'etain retroussait par-devant. Dans l'aumoniere pendue a sa ceinture, elle avait de l'or et aussi la dague d'Arnaud, sa fidele compagne des jours difficiles, des passes dangereuses. Enfin, dans sa main droite, elle tenait l'embleme meme du pelerin, le fameux bourdon, le long baton au bout duquel s'attachait une gourde ronde... Non, personne ne l'eut reconnue en cet equipage et Catherine s'en rejouissait. Elle n'etait plus qu'une pelerine au milieu des autres...
La ceremonie tirait a sa fin. La voix grave de l'eveque avait prononce les souhaits de bon voyage, qu'il adressait a ceux qui partaient. Maintenant, il benissait les bourdons que tous elevaient d'un meme geste. Les pretres et la grande croix de procession qui allaient mener le cortege jusqu'aux portes de la ville s'ebranlaient deja.
Catherine, jetant un dernier coup d'?il vers le ch?ur, enveloppa dans le meme regard le Roi, le Connetable, la cour etincelante gardee d'hommes d'armes. Ils semblaient deja reculer dans le temps au milieu de la brume des mirages. Plus haut, dominant le tout, elle pouvait voir le diamant maudit de Garin scintiller de flammes unies au bandeau d'or qui couronnait la raide petite Vierge. Les portes s'ouvrirent sur le grand air, sur le ciel bleu pale ou couraient les nuages...
Catherine, au seuil, gonfla sa poitrine et prit une grande aspiration.
Elle avait l'impression que ces portes ouvraient sur l'infini, sur un espoir a la mesure du vaste monde.
Derriere les pretres et les moines, les pelerins devalerent, en criant de joie, la rue en pente. De chaque cote, les bonnes gens s'ecrasaient contre les maisons pour les regarder passer. Certains hurlaient des souhaits, d'autres envoyaient a un ami, a un parent un dernier adieu.
Franchis les remparts de granit ou claquaient les oriflammes royales, la derniere escorte se detacha des pelerins. Devant la colonne, une route en pente raide rampait au flanc d'une colline qui avait l'air d'escalader le ciel. En tete, le chef des pelerins, un gaillard solide aux yeux de feu, entonna d'une voix forte le vieux chant de marche qui avait soutenu tant de courages epuises par les trop longues etapes, l'etrange cantique en vieux langage qui rythmait si bien le pas.