Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (электронная книга .txt) 📗
— Ta blessure... dit-elle.
— Ce n'est rien ! Elle se refermera ! Laissez-moi vous porter ! Vous n'arriverez jamais a descendre ces maudites marches toute seule.
Deja il l'enlevait de terre. Comme un enfant peureux, elle se blottit contre la poitrine du geant.
— Tu m'as sauvee, soupira-t-elle. Cette fois encore, c'est a toi que je dois la vie.
Il se mit a rire avec bonne humeur.
— Je suis la pour ca, fit-il. Vous savez bien ce qu'a dit la Marie. Je suis votre chien de garde !
Catherine ne repondit rien. Mais une impulsion, dont elle chercha longtemps l'explication, la poussa a un geste irreflechi. Tandis qu'il commencait a descendre le dangereux escalier, elle noua soudain ses bras autour du cou solide et posa sa bouche contre celle du geant. Il s'arreta net et, d'abord, sous les levres de Catherine, ses levres a lui demeurerent inertes. Ce baiser inattendu le foudroyait. Mais ce ne fut qu'un tres court instant. Comme la jeune femme allait s'ecarter, il la ramena et lui rendit son baiser avec une passion qui la bouleversa. Ses levres charnues etaient chaudes et douces comme celles d'un enfant. Une emotion etrange s'empara de Catherine. Ce baiser avait une saveur inconnue pour elle.
C'etait quelque chose de tendre ou l'ardeur de l'homme se temperait d'une devotion. Toute la fraicheur d'un premier amour y etait enclose et, dans les bras de Gauthier, Catherine evoqua soudain Landry, son ami d'enfance, qui s'etait fait moine par desespoir. Landry l'aimait de cette facon-la. En Gauthier, elle reconnaissait un etre de meme essence, de meme race qu'elle-meme. Il l'aimait sans orgueil mais totalement. Son amour devait etre aussi naturel que l'air des champs ou le vol d'un oiseau...
Brusquement, il la reposa a terre, s'eloignant d'elle de quelques marches. Par la porte ouverte du donjon, elle vit son visage convulse d'une douleur qu'elle ne comprit pas. Il y avait de la souffrance dans les yeux gris du Normand, dans le son enroue de sa voix.
— Ne recommencez jamais cela... par pitie ! Ne recommencez jamais !
— J'ai seulement voulu te dire merci, que tu saches combien...
Il secoua sa grosse tete aux cheveux raides, fit le dos rond sous le cuir dechire de son justaucorps, se detourna.
— Vous avez le pouvoir de me rendre fou et vous le savez trop bien.
Il s'eloigna sous la bourrasque du vent qui redoublait. La pluie s'en melait, giflant Catherine. Elle le regarda s'en aller vers les ecuries, ses larges epaules voutees, et elle eut conscience de l'avoir blesse. Il n'avait pas compris le geste instinctif de Catherine ; d'ailleurs comment l'aurait-il pu puisqu'elle ne l'avait pas compris elle-meme ? Il avait du croire a une aumone accordee a son silencieux amour. Une strophe de l'etrange chanson qu'il aimait a chanter lui revint en memoire, cette ballade d'Harald le Vaillant venue du fond des siecles.
Mes vaisseaux sont l'effroi des peuples, j'ai creuse de larges sillons dans les mers et, cependant, une fille de Russie me dedaigne.
Gauthier etait bien proche d'elle, il appartenait, comme elle, a l'orgueilleux et patient peuple de France. Pourtant, parviendrait-elle un jour a le connaitre vraiment, ce fils des forets normandes ?
Catherine, tout en songeant, revenait lentement vers le logis. La tete vide, la pensee a la derive, elle laissait la pluie mouiller son visage, s'abandonnant a sa violence comme pour se laver de ses doutes et de ses craintes. Qu'allait-elle faire, maintenant ? Trouver Arnaud, sans retard, l'obliger a l'entendre. Il fallait, s'il voulait vraiment la garder, que Marie de Comborn quittat Carlat avant le coucher du soleil.
— Je ne vivrai pas un jour de plus aupres d'elle, repetait-elle entre ses dents. Il faut qu'il choisisse !
Un frisson retrospectif la prit en songeant a ce qui aurait pu etre. Sans Gauthier, a cette heure, elle ne serait qu'un corps broye, un amas de chair, de sang et d'os ecrases au fond d'un trou puant... Elle serra les poings, se mordit les levres. Ce qui avait manque ce jour-la pouvait reussir une autre fois. Elle avait echappe a la mort par miracle, mais demain ? Sous quelle forme la mort s'approcherait-elle sournoisement, dans l'ombre ?
Une exclamation de colere franchit sa bouche humide. A quelques toises, devant elle, Marie sortait en courant du logis et, apres s'etre retournee pour voir si nul ne la suivait, se precipitait vers le coin de la cour ou etaient les etuves. Catherine prit son elan pour la suivre, mais elle se rappela soudain que, pour voler au secours d'Arnaud, elle avait laisse seul son petit Michel. Sans doute Sara etait-elle remontee pres de lui a moins que la grand-mere ne fut rentree du village ou elle etait allee distribuer des aumones. Mais mieux valait jeter un coup d'?il avant de poursuivre Marie. Prisonniere, comme elle l'etait elle-meme des murs de la forteresse, la fille ne lui echapperait pas. Avec un sourire charge de rancune, Catherine se dit qu'elle la retrouverait toujours...
Elle monta rapidement a sa chambre, poussee par une hate soudaine de revoir l'enfant. Peut-etre aussi d'oter cette robe trempee de pluie qui plaquait desagreablement a son corps et genait ses mouvements. Elle entra dans sa chambre, se dirigea vers le berceau de chene et se figea soudain, le c?ur arrete. Le bebe n'etait plus visible. Une main criminelle avait remonte les couvertures jusque par-dessus sa tete. Plus aucun son ne sortait du petit lit...
Le hurlement qui jaillit de la gorge de Catherine etait celui d'une bete. C'etait celui de la louve devant sa taniere desertee. Il resonna dans les grandes salles vides et alla secouer le vieux logis jusqu'en ses coins les plus recules. Il fit sursauter Sara dans la profonde cuisine, tressaillir les sentinelles de garde aux murailles, se signer le paysan qui livrait de la paille dans son grossier chariot de bois. La-haut dans la grande chambre, Catherine s'etait ruee sur le berceau, arrachait les couvertures, enlevait Michel. La figure de l'enfant etait bleue. La petite tete retomba en arriere, inerte...
Catherine se laissa tomber a genoux.
— Mon Dieu... Non ! Pas ca !... Pas ca !
Elle hoquetait, etranglee de douleur, couvrant de baisers convulsifs son enfant... Cette fois, c'etait la pire des choses !
L'atrocite de ce crime la submergeait sous l'horreur et sous une souffrance si abominable qu'elle ne pouvait la supporter... Elle cria encore, et encore... Sara entra en courant, vit la jeune femme ecroulee, l'enfant entre les mains, et le lui arracha.
— Qu'est-il arrive ?
— On l'a tue... On me l'a tue... mon tout-petit ! Quelqu'un l'a etouffe dans son lit !... Mon Dieu !... Oh ! mon Dieu !
Mais deja Sara ne l'ecoutait plus. Elle demaillotait le bebe, coupait les rubans qui attachaient les langes, denudait le petit corps sans plus de reactions, entre ses mains, qu'une poupee de son. Plusieurs fois, elle claqua sechement les fesses du bebe puis l'etendit sur le lit de sa mere, ouvrit la petite bouche et se mit a souffler dedans doucement, lentement...
Catherine la regardait, les yeux ecarquilles, changee en statue.
— Que... fais-tu ? articula-t-elle.
— J'essaie de le ranimer. Jadis, j'ai vu souvent dans notre tribu des enfants qui naissaient avec, au cou, le lien de chair et qui avaient le meme aspect que ton fils. Les sages-femmes agissaient toujours ainsi...
Elle se pencha de nouveau sur Michel. Les pieds de Catherine lui semblaient rives au sol. Elle etait incapable de faire un mouvement. Une seule chose vivait encore, en elle, hormis ce c?ur douloureux, c'etait son regard qui buvait chaque geste de Sara. Une masse noire s'interposa soudain devant ses yeux tandis que la voix colereuse d'Isabelle de Montsalvy s'ecriait :
— Que faites-vous, espece de folle ? Que faites vous a mon petit-fils ?
Elle secouait Sara par l'epaule. Alors, brusquement, Catherine ressuscita. Soulevee d'une immense fureur, elle sauta sur sa belle-mere, l'empoigna aux epaules et l'ecarta brutalement de Sara. Et, comme la vieille dame, la bouche ouverte, la considerait avec stupeur, elle cria, ses yeux violets fulgurant de rage :