Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (электронная книга .txt) 📗
— Allons ! dit-elle durement, laissez-moi passer.
Il ne repondit pas, continua de monter vers elle.
Son souffle haletant faisait un bruit de forge qui emplissait les oreilles de la jeune femme. Ces yeux fixes, ce rire idiot et mechant ! Elle recula d'une marche. L'homme se pencha, tendit ses enormes mains pour la saisir... Une terreur folle l'envahit. Elle comprit soudain qu'elle etait seule, dans cette tour, livree a cette brute dont les intentions ne se lisaient que trop clairement. Avec un cri etrangle, elle se lanca en courant vers les hauteurs... Elle voulait gagner l'etage superieur, s'enfermer dans la grande piece ronde ou vivait Jean de Cabanes. Elle se souvenait de la porte massive, des verrous solides qu'elle y avait vus. Mais elle n'avait pas encore recupere suffisamment son souffle. Le c?ur cognait douloureusement contre ses cotes. Derriere elle, l'homme s'etait mis aussi a courir. Et il faisait noir dans cet escalier, si noir ! N'atteindrait-elle jamais la porte salvatrice ? Des larmes d'angoisse avaient jailli de ses yeux.
Au-dessus de sa tete, la tour parut eclater. Il y eut un craquement enorme suivi d'un veritable hurlement. A quelques marches au-dessus de Catherine, la porte s'effondra dans un vacarme apocalyptique liberant un peu de jour. Et Catherine, qui allait se lancer dans la piece miraculeusement ouverte, se rejeta en arriere si durement que son epaule alla heurter le mur. Entre elle et la porte arrachee sur le seuil de laquelle Gauthier, fumant de rage et couvert de poussiere, venait de surgir, il y avait le vide... un vide noir, terrifiant... Une main criminelle avait ote les marches de bois amovibles que comportait l'acces de chaque etage d'un donjon. Ces marches etaient autant de pieges tendus a l'assaillant, autant de retard apporte dans sa montee vers le sommet. Emporte dans son elan, il ne trouvait plus rien sous ses pas, que les tenebres, et allait s'ecraser au fond d'une oubliette.
Catherine comprit qu'en arrachant la porte, en faisant la lumiere, Gauthier l'avait sauvee. Un pas de plus et elle disparaissait dans le gouffre. Personne ne l'aurait retrouvee. Il suffisait de remettre les marches... Etranglee par la peur, saisie de vertige, incapable d'emettre un son, elle tendit une main de noyee vers le Normand, se rendit a peine compte de son aspect terrifiant. Le large visage etait convulse par une de ces fureurs meurtrieres qu'elle connaissait bien. Du sang coulait de son epaule sous le cuir arrache de sa tunique, et aussi de ses mains...
— Ne bougez pas, dame Catherine ! souffla-t-il haletant. Je commence a comprendre pourquoi on m'a enferme la-dedans !
Juste a cet instant, Escorneb?uf apparut. Il etait tellement acharne a la poursuite de Catherine qu'il ne vit pas tout de suite le Normand. Avec un grognement de joie, il allait se jeter sur la jeune femme quand Gauthier tonna :
— Cette fois, tu ne m'echapperas pas, truand !
Catherine n'eut pas le temps de se plaquer contre
la muraille. D'un bond, Gauthier avait franchi le vide, la heurtant au passage. Elle recut un choc terrible, qui l'etourdit un moment, tandis que le geant tombait, de tout son poids, sur le Gascon qui chuta en arriere. Les deux hommes, emmeles, degringolerent l'escalier jusqu'au prochain palier.
Le froid des pierres auxquelles elle s'agrippait ranima Catherine, au bord de l'evanouissement. Elle serra les dents, se redressa malgre la douleur qui courait le long de son dos. En se tenant au mur, les jambes flageolantes, elle descendit jusqu'a l'endroit ou avaient roule les deux hommes. Le combat continuait, sauvage, acharne. Escorneb?uf et Gauthier etaient si etroitement enlaces qu'il etait impossible de les distinguer nettement l'un de l'autre. C'etait un amoncellement spasmodique de bras et jambes d'ou s'echappaient des grondements de fauves. Sur l'etroit espace, ils roulaient et tantot c'etait le Normand, tantot c'etait le Gascon qui avait le dessus.
Du c?ur haletant de Catherine montait une fervente priere. Elle souhaitait, eperdument, que Gauthier eut le dessus, bien sur, car sa defaite signifierait la mort, pour lui comme pour elle. Mais le Gascon etait de force sensiblement egale et la recente blessure a l'epaule du Normand le handicapait. D'autant plus qu'en arrachant, d'un effort surhumain, la massive porte de chene, il avait du rouvrir la plaie... Enfin, les combattants obstruaient le passage et Catherine n'avait aucun moyen d'aller chercher de l'aide. Elle songea soudain a appeler, cria :
— A l'aide ! A moi !
— Taisez-vous ! haleta Gauthier. Le diable sait ce que votre appel peut amener ici ! J'en viendrai... bien a bout tout seul !
D'une brutale torsion de reins, il reussissait, en effet, a reprendre l'avantage. Il avait pu saisir son ennemi a la gorge et serrait malgre les coups de poing que l'autre faisait pleuvoir sur lui. Peu a peu, d'ailleurs, l'air manqua au Gascon. Sa bouche s'ouvrit, ses coups faiblirent et s'ajusterent mal. Gauthier serra plus fort et, soulevant la tete du Gascon, la frappa contre le sol. L'autre, enfin, rala.
— Grace... Ne me tuez pas !
— Reponds d'abord a mes questions, je verrai apres. Qui m'a enferme dans la salle du haut ?
— Moi ! On me l'avait demande.
— Qui?
— La demoiselle... Marie de Comborn !
— Tu la connaissais donc ? demanda Catherine qui reprenait sa presence d'esprit.
Entre les mains de Gauthier, le visage d'Escorneb?uf etait couleur lie de vin. Il cherchait l'air comme un poisson hors de l'eau. Le Normand desserra ses pouces. Escorneb?uf respira deux ou trois fois.
— Oui, dit-il enfin. J'ai servi, naguere, chez son frere, a Comborn, comme mercenaire. Elle m'a promis... un bijou de sa mere... et aussi de se donner a moi... si je vous tuais tous les deux !
— Alors, gronda Gauthier, les marches otees ?
C'est moi aussi ! J'ai profite de ce que messire Arnaud et messire Jean inspectaient les defenses pour les enlever. Puis...
j'ai envoye un homme d'armes prevenir dame Catherine. Quand je l'ai vue courir vers le donjon, je suis entre derriere elle. Je voulais... Non ! Pitie !
Les derniers mots avaient ete arraches par la crainte. Le visage de Gauthier etait devenu pourpre de fureur. Tous ses.
traits s'etaient convulses et, sur sa gorge, le miserable sentait se resserrer la prise mortelle.
— Tu voulais la pousser, n'est-ce pas ? Au cas ou, par miracle, elle aurait vu le trou...
Escorneb?uf sentit sa mort dans la voix passionnee de son adversaire et, dans un geste presque enfantin, joignit les mains. Il ne pouvait plus parler.
— Il a demande grace... commenca Catherine.
Les yeux gris de Gauthier se tournerent vers elle
avec une expression d'immense surprise.
— Par Odin ! Vous avez de la pitie de reste ! Que dois-je en faire alors ?
Catherine allait repondre, mais l'etonnement avait relache, sans qu'il s'en doutat, la prise du Normand. Escorneb?uf, bien qu'au bord de la syncope, s'en rendit compte. Son reflexe fut un reflexe desespere. Il donna un coup de reins ou il mit toutes ses forces, fit basculer Gauthier qui, desequilibre, roula de cote. En un clin d'?il, l'homme, a demi etrangle, sauta sur ses pieds et devala l'escalier. Il y eut le claquement de ses semelles sur les marches de pierre, puis le battement de la porte derriere lui. Gauthier, cependant, se relevait en grommelant :
— Il m'a echappe ! Mais je vais le rattraper...
Catherine le retint vivement.
— Non... je t'en prie ! Laisse-le... Ne... ne me laisse pas seule ! J'ai... j'ai eu si peur !
Dans le jour avare, son visage avait l'air d'une fleur pale. Elle tremblait et le Normand l'entendit claquer des dents.
Elle s'appuyait a lui, cherchant un refuge instinctif. La peur qu'elle avait eue produisait main- 3 tenant une reaction nerveuse. Les doigts de la jeune femme rencontrerent l'epaule blessee. Elle les retira vivement, poisses de sang, les regarda avec horreur.