Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (электронная книга .txt) 📗
— Tu devrais aller a son secours, dit Catherine. Elle doit etre malade.
Mais, deja, la vieille dame avait disparu sous la porte. Un instant plus tard, dans la chambre voisine, on entendit craquer le lit. Puis il y eut l'echo de sanglots desesperes. Catherine et Sara, debout l'une en face de l'autre, ecoutaient interdites.
— Va voir ! ordonna Catherine. Il se passe quelque chose...
Sara sortit sans mot dire, revint peu apres. Sa physionomie etait sombre et des plis profonds se creusaient entre ses sourcils. Au regard interrogateur de Catherine, elle repondit en haussant les epaules :
— Elle ne veut rien dire ! Je suppose que c'est la reaction a la peur qu'elle a eue tantot. Elle pensait trouver un apaisement quelconque a l'eglise, selon moi, et il n'en a rien ete.
Elle parlait bas, ce qui permettait de ne rien perdre des bruits au-dela du mur. Dans sa chambre, Isabelle de Montsalvy pleurait toujours... Mais, brusquement, Catherine s'en desinteressa. La raison qui motivait ses larmes, apres tout, ne pouvait lui etre qu'etrangere. Chacun pour soi et Dieu pour tous ! Elle avait elle- meme bien assez de son propre chagrin.
Lentement, elle retourna prendre sa place au coin de la cheminee. En passant, elle se pencha un instant sur le berceau de Michel. Le petit dormait comme un ange... Un peu de douceur penetra au c?ur de sa mere en meme temps que se levait un projet dans son ame. Si Arnaud refusait de l'entendre, s'il refusait d'eloigner cette Marie, elle partirait comme elle l'en avait menace. Elle retournerait chez elle, en Bourgogne !
En franchissant son esprit, le mot l'etonna. La Bourgogne ! Elle s'etait si etroitement integree a son epoux, elle avait si bien assimile ses pensees et ses haines que la Bourgogne etait devenue pour elle le pays ennemi... Pourtant, c'etait la que vivaient sa mere, sa s?ur, son oncle Mathieu. Elle ne les avait pas vus depuis trois ans et, tout a coup, ils lui manquaient cruellement. Dans ce chateau battu des vents, elle evoqua un instant la boutique de la rue du Griffon, a l'ombre des tours de Notre-Dame de Dijon, la maison des champs, blottie au creux des coteaux de Marsannay dans l'etalement fastueux des vignes, le ciel gris- bleu de Dijon ou les nuages fuyaient si vite vers la plaine de Saone, le ciel changeant de Bourgogne auquel Dijon lancait le herissement fantastique, noir, bleu ou dore, de ses toits, de ses tours, de ses fleches d'eglises.
Catherine ferma les yeux, revit le doux visage blond de sa mere, la grosse figure rougeaude de l'oncle Mathieu sous son chaperon de travers, l'etroit profil pale de sa s?ur Loyse, la religieuse du couvent de Tart. Et sous ses paupieres closes, les larmes vinrent avec une envie soudaine, si aigue qu'elle etait douloureuse, de les revoir, de retrouver le tendre refuge des bras maternels. Que pensait a cette heure Jacquette Legoix, sans nouvelles de sa fille depuis si longtemps ? Elle devait prier et pleurer souvent... Derriere son ombre si tendrement evoquee, Catherine en vit surgir une autre, mince, haute et dure, la forme inflexible du duc Philippe. C'etait un homme juste, mais il avait tant d'orgueil ! Avait-il su empecher sa rancune d'homme delaisse de peser sur des innocents ? La jeune femme l'esperait, mais brulait tout a coup de le savoir... D'autres silhouettes encore apparaissaient, peuplant la nuit auvergnate, celles des amis chers : la grosse Ermengarde de Chateauvillain terrifiante et merveilleuse dans les robes pourpres qu'elle affectionnait, l'elegante tournure de Jacques de Roussay, le jeune capitaine des gardes qui avait aime Catherine si tendrement. Jean Van Eyck, le peintre qui ne se lassait jamais de la peindre, puis la silhouette fantastique, empanachee, surdoree, eblouissante, de son ami Jean de Saint-Remy devenu messire Toison d'Or, roi d'armes de Bourgogne. De l'ombre sortait maintenant une mince forme en robe de soie bleue, coiffee d'un enorme turban qui avait la grosseur et la couleur des belles citrouilles, deux yeux vifs au-dessus d'une barbe blanche comme neige, le plus cher ami de tous peut- etre, le petit medecin arabe Abou-al-Khayr...
Il avait toujours dans ses larges manches quelque formule philosophique, quelque pensee poetique pour souligner chaque moment de l'existence. Que lui avait-il dit, a l'auberge de la route de Flandres, alors qu'elle sortait, meurtrie et desolee de cette premiere entrevue avec Arnaud ? Quelque chose qui l'avait frappee et qui devait encore etre valable aujourd'hui...
Ah oui ! Il avait dit : « Le chemin de l'amour est seme de chair et de sang. Vous qui passez par la, relevez le pan de vos robes... » Seigneur ! Quel chemin avait ete plus difficile que celui de son amour ! Que de dechirures, que de sang ! Et aujourd'hui encore, quelle blessure nouvelle allait-elle recevoir des mains de cet homme pour lequel elle avait tout quitte, tout abandonne et qu'elle ne pouvait s'empecher d'adorer ?
D'un geste las, Catherine ecarta la masse lourde et chaude de sa chevelure retombante, leva vers Sara, qui l'observait, des yeux tout brillants de larmes.
— Sara, murmura-t-elle, je voudrais retourner chez nous ! Je voudrais revoir maman, et l'oncle Mathieu, et tous les autres...
— Meme... le duc Philippe ?
D'un elan, la jeune femme se laissa tomber a terre aupres de Sara, enfouit sa tete dans ses genoux et se mit a sangloter desesperement.
Je ne sais pas ! Je ne sais plus !... Mais j'ai si mal, tu sais ! Je voudrais tant ne plus avoir mal, redevenir comme avant...
comme avant !
Sara ne repondit pas. Elle ecoutait, contre elle et la-bas, au-dela de la porte de chene, ces sanglots separes qui, pourtant, semblaient se repondre : ceux de la mere, ceux de la femme. Toutes deux pleuraient pour le meme homme et Sara savait pourquoi. Elle savait que les larmes d'Isabelle motivaient celles de Catherine, elle connaissait le secret qu'Arnaud, une nuit, lui avait confie, mais qu'il lui avait fait jurer, sur le salut eternel de son ame, de ne reveler a quiconque. Si elle avait pu, en parlant, calmer la douleur de Catherine, certes avec quelle serenite se fut-elle parjuree, mais elle savait bien que cette douleur deviendrait desespoir. Mieux valait laisser les choses aller comme elles l'entendraient, en esperant qu'elles ne blesseraient pas trop cruellement son enfant cherie.
— Mon Dieu, pria-t-elle silencieusement, mon Dieu qui etes toute justice et toute bonte, elle n'a jamais commis d'autre mal que d'aimer cet homme, de l'aimer par-dessus tout et tous, plus qu'elle-meme... plus que vous-meme ! Epargnez-la !
Le vent hurla, a cet instant precis, et s'engouffra dans la cheminee avec tant de violence que les flammes furent chassees presque jusqu'a Sara qui dut s'ecarter legerement. Son esprit superstitieux vit, dans cette fureur, une reponse a sa priere. Mauvais presage ! Elle se signa vivement, mais sans cesser de caresser, de l'autre main, la tete de la jeune femme prostree.
Quand le jour, pale et frileux, eclaira l'immense paysage devaste, Fortunat vint gratter a la porte de Catherine. Sara ouvrit.
Son bonnet a la main, le petit Gascon se faufila dans la chambre et s'avanca vers Catherine sur la pointe des pieds, comme s'il s'approchait d'un autel. Il n'avait pas du beaucoup dormir, lui non plus. Sous le hale, la peau de son visage avait des reflets gris, la bouche montrait un pli de lassitude et les paupieres retombaient sans cesse comme s'il n'avait plus la force de les tenir ouvertes. Il plia peniblement le genou devant Catherine.
— Dame, fit-il, monseigneur m'envoie vous dire qu'il vous verra vers l'heure de tierce, apres la messe, et vous prie de lui faire savoir si cette heure vous convient.
Le cote solennel du procede amena un sourire amer sur les levres de Catherine. Ainsi, ils en etaient la : a s'envoyer des messagers, a s'accorder des audiences ? Le faible espoir que les paroles de Sara avaient reveille en elle s'assoupissait de nouveau.