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Sc?nes De La Vie De Boh?me - Murger Henry (электронную книгу бесплатно без регистрации .TXT) 📗

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– Ah! Bah! fit Marcel en se penchant sur son epaule, tu travailles… des vers?

– Oui, repondit Rodolphe avec joie. Je crois que la petite bete n'est pas tout a fait morte. Depuis quatre heures que je suis la, j'ai retrouve la verve des anciens jours. J'ai rencontre Mimi.

– Bah! fit Marcel avec inquietude. Et ou en etes-vous?

– A pas peur, dit Rodolphe, nous n'avons fait que nous saluer. Ca n'a pas ete plus loin que ca.

– Bien vrai? dit Marcel.

– Bien vrai. C'est fini entre nous, je le sens; mais si je me remets a travailler, je lui pardonne.

– Si c'est tant fini que ca, ajouta Marcel qui venait de lire les vers de Rodolphe, pourquoi lui fais-tu des vers?

– Helas! reprit le poete, je prends ma poesie ou je la trouve.

Pendant huit jours il travailla a ce petit poeme. Quand il eut fini, il vint le lire a Marcel, qui s'en declara satisfait, et qui encouragea Rodolphe a utiliser autrement la veine qui lui etait revenue.

– Car, lui observa-t-il, ce n'etait pas la peine de quitter Mimi, si tu dois toujours vivre avec son ombre. Apres ca, dit-il en souriant, au lieu de precher les autres, je ferais mieux de me precher moi-meme, car j'ai encore de la Musette plein le c?ur. Enfin! Nous ne serons peut-etre pas toujours des jeunes gens affoles de creatures du diable.

– Helas! Repliqua Rodolphe, il n'est pas besoin de dire a la jeunesse: va-t'en.

– C'est vrai, dit Marcel, mais il y a des jours ou je voudrais etre un honnete vieillard, membre de l'institut, decore de plusieurs ordres, et revenu des musettes de ce monde. Le diable m'emporte si j'y retournerais! Et toi, ajouta l'artiste en riant, aimerais-tu avoir soixante ans?

– Aujourd'hui, repondit Rodolphe, j'aimerais mieux avoir soixante francs.

Peu de jours apres, Mademoiselle Mimi, etant entree dans un cafe avec le jeune vicomte Paul, ouvrit une Revue ou se trouvaient imprimes les vers que Rodolphe avait faits pour elle.

– Bon! s'ecria-t-elle en riant d'abord, voila encore mon amant Rodolphe qui dit du mal de moi dans les journaux.

Mais quand elle eut acheve la piece de vers, elle resta silencieuse et toute reveuse. Le vicomte Paul, devinant qu'elle songeait a Rodolphe, essaya de l'en distraire.

– Je t'acheterai des pendants d'oreilles, lui dit-il.

– Ah! dit Mimi, vous avez de l'argent, vous!

– Et un chapeau de paille d'Italie, continua le vicomte Paul.

– Non, dit Mimi, si vous voulez me faire plaisir, achetez-moi ca.

Et elle lui montrait la livraison ou elle venait de lire la poesie de Rodolphe.

– Ah! pour cela, non, fit le vicomte pique.

– C'est bien, repondit Mimi froidement. Je l'acheterai moi-meme, avec de l'argent que je gagnerai moi-meme. Au fait, j'aime mieux que ce ne soit pas avec le votre.

Et pendant deux jours Mimi retourna dans son ancien atelier de fleuriste, ou elle gagna de quoi acheter la livraison. Elle apprit par c?ur la poesie de Rodolphe; et, pour faire enrager le vicomte Paul, elle la repetait toute la journee a ses amis. Voici quels etaient ces vers:

Alors que je voulais choisir une maitresse
Et qu'un jour le hasard fit rencontrer nos pas,
J'ai mis entre tes mains mon c?ur et ma jeunesse
Et je t'ai dit: fais-en tout ce que tu voudras.
Helas! Ta volonte fut cruelle, ma chere:
Dans tes mains ma jeunesse est restee en lambeaux,
Mon c?ur s'est en eclats brise comme du verre,
Et ma chambre est le cimetier
Ou sont enterres les morceaux
De ce qui t'aima tant naguere.
Entre nous maintenant, n-i, ni-, c'est fini,
Je ne suis plus qu'un spectre et tu n'es qu'un fantome,
Et sur notre amour mort et bien enseveli,
Bous allons, si tu veux, chanter le dernier psaume.
Pourtant ne prenons point un air ecrit trop haut,
Nous pourrions tous les deux n'avoir pas la voix sure;
choisissons un mineur grave et sans fioriture;
moi je ferai la basse et toi le soprano.
Mi, re, mi, do, re, la .-Pas cet air, ma petite!
S'il entendait cet air que tu chantais jadis,
Mon c?ur, tout mort qu'il est, tressaillirait bien vite,
Et ressusciterait a ce De Profundis .
Do, mi, fa, sol, mi, do .-Celui-ci me rappelle
Une valse a deux temps qui me fit bien du mal
Le fifre au rire aigu raillait le violoncelle
Qui pleurait sous l'archet ses notes de cristal.
Sol, do, do, si, si, la .-Point cet air, je t'en prie,
Nous l'avons, l'an dernier, ensemble repete
Avec des allemands qui chantaient leur patrie
Dans les bois de Meudon, par une nuit d'ete.
Eh bien! ne chantons pas, restons-en la, ma chere;
Et pour n'y plus penser, pour n'y plus revenir,
Sur nos amours defunts, sans haine et sans colere
Jetons en souriant un dernier souvenir.
Nous etions bien heureux dans ta petite chambre
Quand ruisselait la pluie et que soufflait le vent;
Assis dans le fauteuil, pres de l'atre, en decembre
Aux lueurs de tes yeux j'ai reve bien souvent.
La houille petillait; en chauffant sur les cendres,
La bouilloire chantait son refrain regulier,
Et faisait un orchestre au bal des salamandres
Qui voltigeaient dans le foyer.
Feuilletant un roman, paresseuse et frileuse,
Tandis que tu fermais tes yeux ensommeilles,
Moi je rajeunissais ma jeunesse amoureuse,
Mes levres sur tes mains et mon c?ur a tes pieds.
Aussi, quand on entrait, la porte ouverte a peine,
On sentait le parfum d'amour et de gaite
Dont notre chambre etait du matin au soir pleine,
Car le bonheur aimait notre hospitalite.
Puis l'hiver s'en alla; par la fenetre ouverte,
Le printemps un matin vint nous donner l'eveil,
Et ce jour-la tous deux dans la campagne verte
Nous allames courir au-devant du soleil.
C'etait le vendredi de la Sainte Semaine,
Et, contre l'ordinaire, il faisait un beau temps,
Du val a la colline, et du bois a la plaine,
D'un pied leste et joyeux, nous courumes longtemps.
Fatigues cependant par ce pelerinage,
Dans un lieu qui formait un divan naturel
Et d'ou l'on pouvait voir au loin le paysage,
Nous nous sommes assis en regardant le ciel.
Les mains pressant les mains, epaule contre epaule,
Et sans savoir pourquoi, l'un et l'autre oppresses,
Notre bouche s'ouvrit sans dire une parole,
Et nous nous sommes embrasses.
Pres de nous l'hyacinthe avec la violette
Mariaient leur parfum qui montait dans l'air pur;
Et nous vimes tous deux, en relevant la tete,
Dieu qui nous souriait a son balcon d'azur.
Aimez-vous, disait-il; c'est pour rendre plus douce
La route ou vous marchez que j'ai fait sous vos pas
Derouler en tapis le velours de la mousse.
Embrassez-vous encor,-je ne regarde pas.
Aimez-vous, aimez-vous: dans le vent qui murmure,
Dans les limpides eaux, dans les bois reverdis,
Dans l'astre, dans la fleur, dans la chanson des nids,
C'est pour vous que j'ai fait renaitre ma nature.
Aimez-vous, aimez-vous; et de mon soleil d'or,
De mon printemps nouveau qui rejouit la terre,
Si vous etes contents, au lieu d'une priere
Pour me remercier-embrassez-vous encor.
Un mois apres ce jour, quand fleurirent les roses
Dans le petit jardin que nous avions plante,
Quand je t'aimais le mieux, sans m'en dire les causes
Brusquement ton amour de moi s'est ecarte.
Ou s'en est-il alle? Partout un peu, je pense;
Car, faisant triompher l'une et l'autre couleur,
Ton amour inconstant flotte sans preference
Du brun valet de pique au blond valet de c?ur.
Te voila maintenant heureuse: ton caprice
Regne sur une cour de galants jouvenceaux,
Et tu ne peux marcher sans qu'a tes pieds fleurisse
Un parterre emaille d'odorants madrigaux.
Dans les jardins de bal, quand tu fais ton entree,
Autour de toi se forme un cercle langoureux;
Et le fremissement de ta robe moiree,
Pame en ch?ur laudatif ta meute d'amoureux.
Elegamment chausse d'une souple bottine
Qui serait trop etroite au pied de Cendrillon,
Ton pied est si petit qu'a peine on le devine
Quand la valse t'emporte en son gai tourbillon.
Dans les bains onctueux d'une huile de paresse,
Tes mains, brunes jadis, ont retrouve depuis
La paleur de l'ivoire ou du lis que caresse
Le rayon argente dont s'eclairent les nuits.
Autour de ton bras blanc une perle choisie
Constelle un bracelet cisele par Froment,
Et sur tes reins cambres un grand chale d'Asie
En cascade de plis ondule artistement.
La dentelle de Flandre et le point d'Angleterre,
La guipure gothique a la mate blancheur,
Chef-d'?uvre arachneen d'un age seculaire,
De ta riche toilette acheve la splendeur.
Pour moi, je t'aimais mieux dans tes robes de toile
Printaniere, indienne ou modeste organdi,
Atours frais et coquets, simple chapeau sans voile,
Brodequins gris ou noirs, et col blanc tout uni.
Car ce luxe nouveau qui te rend si jolie
Ne me rappelle pas mes amours disparus,
Et tu n'es que plus morte et mieux ensevelie
Dans ce linceul de soie ou ton c?ur ne bat plus.
Lorsque je composai ce morceau funeraire
Qui n'est qu'un long regret de mon bonheur passe,
J'etais vetu de noir comme un parfait notaire,
Moins les besicles d'or et le jabot plisse.
Un crepe enveloppait le manche de ma plume,
Et des filets de deuil encadraient le papier
Sur lequel j'ecrivais ces strophes, ou j'exhume
Le dernier souvenir de mon amour dernier.
Arrive cependant a la fin d'un poeme
Ou je jette mon c?ur dans le fond d'un grand trou,
– Gaite de croque-mort qui s'enterre lui-meme,
Voila que je me mets a rire comme un fou.
Mais cette gaite-la n'est qu'une raillerie:
Ma plume en ecrivant a tremble dans ma main,
Et quand je souriais, comme une chaude pluie,
Mes larmes effacaient les mots sur le velin.
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