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Les Voyages De Gulliver - Swift Jonathan (читаем книги онлайн txt) 📗

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Durant notre voyage, il me fit observer les differentes methodes des laboureurs pour ensemencer leurs terres. Cependant, excepte en quelques endroits, je n’avais decouvert dans tout le pays aucune esperance de moisson, ni meme aucune trace de culture; mais, ayant marche encore trois heures, la scene changea entierement. Nous nous trouvames dans une tres belle campagne. Les maisons des laboureurs etaient un peu eloignees et tres bien baties; les champs etaient clos et renfermaient des vignes, des pieces de ble, des prairies, et je ne me souviens pas d’avoir rien vu de si agreable. Le seigneur, qui observait ma contenance, me dit alors en soupirant que la commencait sa terre; que, neanmoins, les gens du pays le raillaient et le meprisaient de ce qu’il n’avait pas mieux fait ses affaires.

Nous arrivames enfin a son chateau, qui etait d’une tres noble structure: les fontaines, les jardins, les promenades, les avenues, les bosquets, etaient tous disposes avec jugement et avec gout. Je donnai a chaque chose des louanges, dont Son Excellence ne parut s’apercevoir qu’apres le souper.

Alors, n’y ayant point de tiers, il me dit d’un air fort triste qu’il ne savait s’il ne lui faudrait pas bientot abattre ses maisons a la ville et a la campagne pour les rebatir a la mode, et detruire tout son palais pour le rendre conforme au gout moderne; mais qu’il craignait pourtant de passer pour ambitieux, pour singulier, pour ignorant et capricieux, et peut-etre de deplaire par la aux gens de bien; que je cesserais d’etre etonne quand je saurais quelques particularites que j’ignorais.

Il me dit que, depuis environ quatre ans, certaines personnes etaient venues a Laputa, soit pour leurs affaires, soit pour leurs plaisirs, et qu’apres cinq mois elles s’en etaient retournees avec une tres legere teinture de mathematiques, mais pleines d’esprits volatils recueillis dans cette region aerienne; que ces personnes, a leur retour, avaient commence a desapprouver ce qui se passait dans le pays d’en bas, et avaient forme le projet de mettre les arts et les sciences sur un nouveau pied; que pour cela elles avaient obtenu des lettres patentes pour eriger une academie d’ingenieurs, c’est-a-dire de gens a systemes; que le peuple etait si fantasque qu’il y avait une academie de ces gens-la dans toutes les grandes villes; que, dans ces academies ou colleges, les professeurs avaient trouve de nouvelles methodes pour l’agriculture et l’architecture, et de nouveaux instruments et outils pour tous les metiers et manufactures, par le moyen desquels un homme seul pourrait travailler autant que dix, et un palais pourrait etre bati en une semaine de matieres si solides, qu’il durerait eternellement sans avoir besoin de reparation; tous les fruits de la terre devaient naitre dans toutes les saisons, plus gros cent fois qu’a present, avec une infinite d’autres projets admirables. «C’est dommage, continua-t-il, qu’aucun de ces projets n’ait ete perfectionne jusqu’ici, qu’en peu de temps toute la campagne ait miserablement ravagee, que la plupart des maisons soient tombees en ruine, et que le peuple, tout nu, meure de froid, de soif et de faim. Avec tout cela, loin d’etre decourages, ils en sont plus animes a la poursuite de leurs systemes, pousses tour a tour par l’esperance et par le desespoir.» Il ajouta que, pour ce qui etait de lui, n’etant pas d’un esprit entreprenant, il s’etait contente d’agir selon l’ancienne methode, de vivre dans les maisons baties par ses ancetres et de faire ce qu’ils avaient fait, sans rien innover; que quelque peu de gens de qualite avaient suivi son exemple, mais avaient ete regardes avec mepris, et s’etaient meme rendus odieux, comme gens mal intentionnes, ennemis des arts, ignorants, mauvais republicains, preferant leur commodite et leur molle faineantise au bien general du pays.

Son Excellence ajouta qu’il ne voulait pas prevenir par un long detail le plaisir que j’aurais lorsque j’irais visiter l’academie des systemes; qu’il souhaitait seulement que j’observasse un batiment ruine du cote de la montagne; que ce que je voyais, a la moitie d’un mille de son chateau, etait un moulin que le courant d’une grande riviere faisait aller, et qui suffisait pour sa maison et pour un grand nombre de ses vassaux; qu’il y avait environ sept ans qu’une compagnie d’ingenieurs etait venue lui proposer d’abattre ce moulin et d’en batir un autre au pied de la montagne, sur le sommet de laquelle serait construit un reservoir ou l’eau pourrait etre conduite aisement par des tuyaux et par des machines, d’autant que le vent et l’air sur le haut de la montagne agiteraient l’eau et la rendraient plus fluide, et que le poids de l’eau en descendant ferait par sa chute tourner le moulin avec la moitie du courant de la riviere; il me dit que, n’etant pas bien a la cour, parce qu’il n’avait donne jusqu’ici dans aucun des nouveaux systemes, et etant presse par plusieurs de ses amis, il avait agree le projet; mais qu’apres y avoir fait travailler pendant deux ans, l’ouvrage avait mal reussi, et que les entrepreneurs avaient pris la fuite.

Peu de jours apres, je souhaitai voir l’academie des systemes, et Son Excellence voulut bien me donner une personne pour m’y accompagner; il me prenait peut-etre pour un grand admirateur de nouveautes, pour un esprit curieux et credule. Dans le fond, j’avais un peu ete dans ma jeunesse homme a projets et a systemes, et encore aujourd’hui tout ce qui est neuf et hardi me plait extremement.

Chapitre V

L’auteur visite l’academie et en fait la description.

Le logement de cette academie n’est pas un seul et simple corps de logis, mais une suite de divers batiments des deux cotes d’une cour.

Je fus recu tres honnetement par le concierge, qui nous dit d’abord que, dans ces batiments, chaque chambre renfermait un ingenieur, et quelquefois plusieurs, et qu’il y avait environ cinq cents chambres dans l’academie. Aussitot il nous fit monter et parcourir les appartements.

Le premier mecanicien que je vis me parut un homme fort maigre: il avait la face et les mains couvertes de crasse, la barbe et les cheveux longs, avec un habit et une chemise de meme couleur que sa peau; il avait ete huit ans sur un projet curieux, qui etait, nous dit-il, de recueillir des rayons de soleil afin de les enfermer dans des fioles bouchees hermetiquement, et qu’ils pussent servir a echauffer l’air lorsque les etes seraient peu chauds; il me dit que, dans huit autres annees, il pourrait fournir aux jardins des financiers des rayons de soleil a un prix raisonnable; mais il se plaignait que ses fonds etaient petits, et il m’engagea a lui donner quelque chose pour l’encourager.

Je passai dans une autre chambre; mais je tournai vite le dos, ne pouvant endurer la mauvaise odeur. Mon conducteur me poussa dedans, et me pria tout bas de prendre garde d’offenser un homme qui s’en ressentirait; ainsi je n’osai pas meme me boucher le nez. L’ingenieur qui logeait dans cette chambre etait le plus ancien de l’academie: son visage et sa barbe etaient d’une couleur pale et jaune, et ses mains avec ses habits etaient couverts d’une ordure infame. Lorsque je lui fus presente, il m’embrassa tres etroitement, politesse dont je me serais bien passe. Son occupation, depuis son entree a l’academie, avait ete de tacher de reconstituer les elements des matieres ayant servi a l’alimentation, pour les faire retourner a l’etat d’aliment.

J’en vis un autre occupe a calciner la glace, pour en extraire, disait-il, de fort bon salpetre et en faire de la poudre a canon; il me montra un traite concernant la malleabilite du feu, qu’il avait envie de publier.

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